Éditions Espaces 34

Théâtre jeunesse

Cette collection, créée en mai 2009, accueille des écrivains déjà publiés dans d’autres collections et de nouveaux écrivains. Elle s’adresse aux enfants du primaire et du début du collège, les textes pour adolescents étant publiés dans les collections Théâtre contemporain et Théâtre en traduction. Elle est aussi tout public.

Extrait du texte

Personnages

Ema, fille
Dilo, fille
Tom, garçon

Les enfants sont en âge d’aller à l’école primaire, ou au collège. Ils pourraient avoir 8 ou 9 ans, ou 13.


3. Nos peurs

Tom court. Ema l’observe.

TOM :
Un esprit sain dans un corps sain a répété le maître en nous observant sur la piste de course.
Moi, je sais, courir vite, longtemps, sans perdre mon souffle.
/
Lorsque Dilo me poursuit, là, je préfère courir lentement,
que l’histoire se termine vite vite.
Mais suffit que le maître nous témoigne un peu d’intérêt et là je file à tout allure je te jure.

EMA :
On ne jure pas.

TOM :
Tellement vite que ma peau se met à dégager de la vapeur.
It’s true !

EMA :
Tatou préfère nager.

TOM :
Ma peau, elle dégage tellement de vapeur, ma peau, que j’enlève mon maillot de corps et alors les gouttes s’ébruitent sur mon dos là là
ça fait pfschlll
tellement y’a d’eau.
Tellement y’a d’eau oh oh.

EMA :
Regarder les bateaux sur l’eau loin de la jetée se jeter disparaître sous l’eau céans.

Tom, troublé, fixe Ema.

TOM :
Quand tu parles, comme ça, j’ai des frissons qui serpentent autour de mon cou.
Comme des étincelles glacées qui piquent la peau.
Bientôt bientôt bientôt,
je pourrai en faire un collier.

EMA :
Tatou n’aime pas les bijoux.

TOM :
Avec un X !

EMA :
Tatou préfère les cailloux pour retrouver son chemin bâtir guérir abriter un feu pendant la nuit.

TOM :
Avec un thé pour mieux veiller !

EMA :
Les glisser dans sa poche se jeter à l’eau et s’y accrocher à deux mains sous les courants marins profonds profonds.

TOM :
T’as gagné : j’ai un nouveau frisson qui vient de s’entortiller. Again.

Ema rit.

TOM :
Dis, on va lancer des galets dans les vagues ? On parie que je lance plus loin que toi ?

EMA :
On ne peut pas ne doit pas surtout pas salir ses mains et ses vêtements.

TOM :
On fera attention !

EMA :
C’est comme ça.

TOM :
Too bad.
You know what, mon père, il dit toujours qu’il n’aime pas que je jette des cailloux depuis la falaise. Il a peur que je tombe à l’eau, well, il ne le dit pas, ça, ça non, jamais il ne le dira, jamais il ne le dira que c’est parce qu’il a peur que je tombe à l’eau, never, mais je sais que c’est pour cela,
sinon,
quoi d’autre ?!
Inutile de s’inquiéter je nage parfaitement, les yeux fermés je peux aussi et descendre jusqu’aux coraux s’il le faut. Yes, I can.
/
Moi j’aime bien faire des ronds dans l’eau et entendre le son de la pierre avalée.
/
Et toi, tes parents, ils ont peur de quoi pour toi ? À part que tu te salisses ?!

Ema hausse les épaules.

Forcément, ils ont peur pour toi, forcément, un parent, j’ai remarqué, ça s’inquiète. Tout le temps. C’est fatigant.
/
Moi mon père, il ne peut pas me surveiller quand il est de service au sémaphore, évidemment,
alors quand il est de repos, ou en permission c’est encore mieux, il m’apprend à faire plein de choses tout seul. Ça le rassure de savoir que je peux me débrouiller sans lui : cuire des œufs durs, neuf minutes ; ôter le calcaire, vinaigre blanc ; repérer une crevaison, plonger la chambre à air, dans l’eau.
/
Même si je préfèrerais qu’il soit là tout le temps, mais ça je ne le lui dis pas, je ne le lui dis pas, il pourrait penser que
je suis une frousse. Alors que,
non.
/
Parfois,
mais seulement parfois,
parfois j’oublie le visage de ma mère, plouf dans le rond de l’oubli, puits sans fond et alors j’ai peur, peur de complètement l’oublier.

Ema serre fort la main de Tom. Puis la relâche. Elle fixe sa poupée Tatou.

EMA :
Le samedi Tatou a peur qu’Ema disparaisse avant que chaque lundi ne recommence.

Tom la regarde.

TOM :
Tu peux dire à Tatou que je vous protégerai, alors. Dorénavant.
/
J’attendrai chaque lundi matin ici.

Dilo surgit. Elle porte un sac-à-dos.

DILO :
Hey Tom-tom.

Elle lui donne un coup sur la tête avec son sac-à-dos.

TOM :
Sorry, on allait partir justement jeter des cailloux dans l’eau.

DILO :
Vraiment ? M’étonnerait.

Dilo s’installe entre les deux.

Roucouliez de quoi ?

TOM :
De nos parents.

DILO :
Ai vu un film avec ta mère hier. Pas mal, le film.
Aimerais bien la voir, en vrai, ta mère. Autrement que sur l’écran géant du salon en dolby surround 7.1 HD.

EMA :
En tournage.

DILO :
Jamais là quoi. Toi, en mode débrouille-solo, n’est-ce pas ?

TOM, à Ema :
Dilo, elle a trois grandes sœurs mais c’est comme si elle en avait pas.

DILO :
Parce que dites grandes, censées surveiller les moindres faits et gestes mais moi, filou file à l’anglaise quand leurs dos se tournent et, hop ici-là,
ni vu, ni connu,

(…)


10. L’île

(…)

TOM :
Dilo, accompagne-moi sur l’île du Creux du Diable, tu connais, toi, tu sais mieux le chemin, comment éviter d’être surpris par la marée montante, tu en connais les horaires, tu prends les raccourcis, tu grimpes sur les rochers sans glisser, tu as l’expérience, tu sais où Ema habite, comment parvenir jusqu’à chez elle, franchir les taillis, sonner à la porte, tu,
tu es forte Dilo.

Dilo ne bouge pas.

DILO :
Quoi en échange ?

TOM :
Ma reconnaissance éternelle ?
/
Je porterai ton sac-à-dos tous les matins et tous les soirs. Toute l’année. Et je te donnerai mon goûter.

DILO :
Maison.

TOM :
Mon goûter maison, oui.

DILO :
Pour le manger avec Ema.

TOM :
Oui.

Bruit d’éclair. Grondement de tonnerre. Dilo sursaute.

Let’s go !

Tom récupère Sureau.

DILO :
Tom court vite, à suivre mes pas dans le sable mouillé.

TOM :
L’île se rapproche, au fur et à mesure de notre course les nuages sombres alourdissent le ciel, menaçant.

DILO :
Et Tom court, évite, et enjambe, traverse les baïnes qui sillonnent la plage, piétine les algues échouées.

TOM :
Là, enfin,
les premiers rochers qui encerclent l’île.

DILO :
Passer par là pour trouver sa maison.

TOM
Dit Dilo, même pas essoufflée.

DILO :
Vite, car la marée bientôt.

TOM :
This way ?
Mais Dilo stoppée net, ne répond pas, ne bouge plus,
car au-dessus de nos têtes elle voit les cumulonimbus s’amonceler
voit les oiseaux en silence tristement s’égailler
voit le vent soulever les pierres et les graviers.
Dilo ?

DILO :
Faut rentrer, le grain va nous saucer.

TOM :
Impossible. J’ai juré.
Dilo… le goûter-maison…

Dilo hésite un court instant.

DILO :
Mince alors !

EMA :
Continuez.

TOM :
Au-dessus des rochers, Dilo coupe le chemin et guide à travers les fourrés.

DILO :
Un raccourci, Tom-Tom, mais gaffe où pose les pieds car pas loin du Creux du Diable. Manquerait plus que dégringole.

EMA :
Continuez.

TOM :
Après avoir traversé bruyères et fougères qui fouettent les cuisses, nous voici parvenus, stoppé net devant
ta maison.

DILO :
Pas très haute, un étage uniquement, avec une seule fenêtre allumée, des dépendances, nombreuses, qui entourent une cour silencieuse. Grille ouverte.

TOM :
Le vent gémit dans les branches des arbres tordus qui forment une haie autour de la demeure.

DILO :
Frappe donc !

TOM :
Personne ne répond.

EMA :
Continuez.

TOM :
Je frappe, un coup, deux coups, trois coups, et c’est à ce moment-là, précisément, que la porte s’entrouvre et laisse deviner :

DILO :
Le père orfèvre.

TOM :
Sur ses doigts aux ongles longs, des bagues scintillent ; à son cou, brillant de mille éclats une clé en or accrochée à une chaîne.
Tiens donc tiens donc tiens donc, encore lui ! Ce n’est pas un temps à traîner dehors, les petits.

DILO :
Qu’il dit d’une voix amicale.

TOM :
Faut rentrer chez vous, les petits, la marée s’apprête à monter.

DILO :
Qu’il dit en tirant sur sa cigarette.

EMA :
Continuez.

TOM :
Dilo me file un coup de coude, je murmure d’une traite, sans réfléchir,
je suis venu pour voir Ema savoir comment elle va comment elle va ?

DILO :
Parle plus fort, petit, je ne t’entends pas, qu’il sourit en crachant par ses narines, comme ça, la fumée de sa cigarette.

TOM :
Je répète, plus fort.

EMA :
Mais Ema est partie rejoindre sa maman en tournage, mes petits. Et maintenant, il est l’heure de rentrer chez vous, pour votre bien. Courez vite les lapins. Et il referme la porte. Voilà. Voilà ce qu’il raconte.
Et moi dans ma chambre allumée terrée je sais que ça va chauffer que je vais voir ce qui m’attend et je pense pourvu pourvu pourvu que Tom et Dilo aient déguerpi disparu rejoint les terres.

DILO :
Impossible,
ça, impossible qu’Ema soit partie, Tom, il ment ?

TOM :
Ma seule pensée : me carapater, maintenant, et rentrer, détaler comme un chat dans la nuit, avant la marée avant la marée avant la marée même si j’ai promis à Ema !

DILO :
Ne jamais promettre !

Tom va pour partir mais Dilo le retient par la manche.

DILO :
Trop facile, ça ! Petit Tom-de-rien-du-tout !

Tom se dégage et tend son bâton Sureau vers le ciel.

TOM :
Que le tonnerre éclate !

Éclair. Roulements de tonnerre puissants. Dilo sursaute.

Le coup est parti si fort,
si fort que,
le coup est parti j’ai rien pu retenir, je ne contrôlais pas,
si fort
si fort ma main a heurté ton épaule Dilo, je ne contrôlais pas, vraiment, je ne le voulais pas, ma main a frappé ton épaule
et devant moi tu dérapes du chemin glissant tombes sur le rocher plus bas et ta cheville fait un bruit
mat
d’arbre qu’on abat.
/
J’aurais voulu crier mais
muet.

Dilo pousse un cri. Tom tente de la relever. Dilo le repousse brutalement. La pluie d’orage se met à tomber, d’un coup.

DILO :
Vas me le payer, les sœurs aînées vont te déchirer.

TOM :
À ces mots, l’unique lumière de la maison s’éteint. L’obscurité nous étreint, d’un coup d’un seul. Je cherche la main de Dilo, la serre, humide entre mes doigts. Puis, le bruit d’un loquet qu’on déverrouille, d’une porte qui grince, et
une ombre se dessine sur le perron.

DILO :
Avais raison Tom, c’est l’Hermétique ! C’est Ema c’est Ema !

TOM :
Calme-toi !
/
Je n’ai pas osé crié son nom dans la nuit,
Ema,
et puis,
de toute façon, elle n’aurait pas entendu avec ce vent qui souffle, cette pluie qui trombe, n’est-ce pas, Dilo ?

EMA :
Que tu dis.

TOM :
Et j’ai à peine le temps de distinguer Ema s’enfoncer, descendre un escalier sur le côté, dérobé, que Dilo :

DILO :
Trop tard, l’océan a recouvert la baie, peux même plus se fier au marées : retour sur terre, néant.

TOM :
Plus le choix : get up !

Tom aide Dilo à se relever et propose Sureau comme béquille. Aux aguets, les deux se dirigent vers l’escalier qu’Ema a descendu.

(…)

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