Éditions Espaces 34

Théâtre jeunesse

Cette collection, créée en mai 2009, accueille des écrivains déjà publiés dans d’autres collections et de nouveaux écrivains. Elle s’adresse aux enfants du primaire et du début du collège, les textes pour adolescents étant publiés dans les collections Théâtre contemporain et Théâtre en traduction. Elle est aussi tout public.

Extrait du texte

Dans la cour de mon école, au milieu des cris de mes camarades qui jouaient inlassablement, je demandais :

  Est-ce que tu me vois ?
  Comment ça ?
  Moi…
  Toi ?
  Oui. Moi. Là. Maintenant.
Est-ce que tu me vois ?
  Evidemment que je te vois,
toi, là maintenant,
quelle drôle de question… !
  Tu me vois en vrai ?
  Ben ouais.
en chair et en os,
comme on dit…

Parce que j’avais peur d’être invisible. Comme un fantôme. Oui. Un peu comme ça.

  Allez ! Viens jouer avec nous,
au lieu de faire les cent pas
à tourner en rond.

Alors je jouais, mais sans le cœur.


Dans la salle de bain, j’avais ouvert l’eau du robinet qui coulait en cascade et j’avais vidé le flacon de bain moussant car c’était bien là, le seul moyen pour que la mousse se forme immédiatement. Elle s’était accumulée en nappes blanches juste au-dessus de l’eau qui était à bonne température et je m’y étais glissé comme dans un gâteau. J’avais ensuite sculpté la couverture de mousse en forme pyramidale, puis je m’étais fait des barbes pointues et pour finir j’avais pris des paquets de mousse dans mes deux mains et d’un souffle fort j’avais éclaboussé les murs de la salle de bain. C’était bien. Un temps. J’étais resté là jusqu’à la disparition totale de la mousse et ensuite j’avais fait des sous l’eau immobile jusqu’à l’immobilité parfaite de l’eau. Dans ma tête défilait les secondes. Je me sentais protégé, comme au chaud, passager clandestin dans le ventre rond d’une baleine qui m’emmenait loin. Quand j’étais revenu à la surface, papa m’avait dit qu’il était peut-être temps de sortir parce que sinon j’allais me transformer en poisson. Je savais bien qu’il plaisantait, car même si dans l’eau ma peau se plissait et qu’elle se ramollissait, jamais je n’allais me transformer en poisson, pour preuve j’avais appris que dans le ventre des mamans, les bébés grandissaient dans une poche de liquide, un peu comme là j’étais dans mon bain, alors évidemment, si je ne m’étais pas transformé à cette époque-là, il y avait peu de chance pour que cela m’arrive maintenant. C’était d’ailleurs bien dommage, car j’aurai bien aimé pouvoir me transformer en poisson ce jour-là, ne serait que pour aller te retrouver dans l’océan…


« Plumeau, il n’y a qu’un seul et unique océan sur terre qui ne connait ni barrière ni frontière ».

Pour papa, peu importe que tu sois quelque part de l’autre côté du monde ou à des milliers de miles nautiques d’ici, une fois que j’aurai les pieds dans l’eau nous serions reliés, connectés, toi et moi par cet océan immense.

Papa débordait de théories. Et moi sans attendre je me mettais pieds nus.

Il prétendait aussi que si j’avais perdu l’appétit c’était parce qu’à l’intérieur de moi ton absence prenait trop de place. Je devais accepter ton départ. C’était possible. Oui. Mais comment ? « Le remède c’est d’écrire sur le sable les mots que tu as sur le cœur et regarder les vagues qui viennent les emporter ». Une plaisanterie ? « Absolument pas ! ». Il me proposait d’essayer. J’hésitais. Par quoi commencer ? « Laisse-toi aller ; Ne pense à rien de précis. Prends juste ce qui vient. Le silence. Le vent. La mer… »

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