Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Début

Sur le seuil.
Je suis sur le seuil.
J’avance sur place, je n’avance pas.
Derrière moi, la vie.
Devant moi, la vie.
C’est quoi la vie ?
Je suis sur le seuil.
Je piétine, un pied sur l’autre.
Enveloppé dans un nœud.
J’ai le feu au cul, sur la nuque.
Un pied sur l’autre.
Je tasse, je tasse.
Le feu aux cheveux.
Et devant du froid qui m’attend, que je dois croquer pour en faire du chaud.
C’est quoi ces températures qui me prennent en sandwich ?
C’est quoi ces mâchoires ?
Je ne suis pas une viande, je suis un os, un peu de respect !

Ici, je mange le temps avec une paille car ma bouche ne porte plus de dents rigides, j’offre des gencives rouges aux lèvres des oiseaux qui passent.
Je hais les oiseaux, je les aime, je hais les oiseaux.
Ici, on me demande de grandir s’il te plaît, moi qui suis déjà si vieux, le plus vieux de tous par mes actes et mes horreurs.
J’ai les meilleures horreurs du monde.
Tu veux les voir ?
Je suis un vieillard naufragé sur un nouveau-né, ou peut-être l’inverse, un bébé échoué sur un vieux rocher et mon corps cherche son sauveteur parmi les étincelles de mon esprit.
J’ai encore des sauvageries blanches qui m’achètent.

La silhouette qui porte la voix apparaît. C’est un homme, c’est une femme, jeune ou moins jeune. C’est le résident (tous les résidents).


Extrait 2, plus loin

Autre temps. Le résident regarde le café couler, interminablement.

Quand je le regarde, le café passe plus vite.
Contrairement au temps, qui reste imperturbable.
C’est sans doute pour ça qu’on lit l’avenir dans le marc de café plutôt que dans une horloge.
L’avenir est plus proche dans le café.
Plus limpide.
Plus aimable.


Extrait 3, plus loin

LE RÉSIDENT : On obéit toujours à quelque chose et c’est toujours plus loin que ce qu’on croit. Tu penses que la réalité est devant toi, que c’est ce que tu vois, mais ce qui te dirige, c’est plus loin, c’est l’obscurité. Tu n’obéis qu’à l’obscurité et c’est ta lumière. Alors c’est un peu compliqué.

Temps

Moi je suis clean.
C’est ma mère qui est shootée.
C’est maman.
Je suis au service de sa mort ce qui m’évite de penser à la mienne et qui est d’un grand réconfort.

L’éducateur revient avec un pot de fleurs. Il prend la parole avec le résident

L’ÉDUCATEUR ET LE RÉSIDENT : Je suis si peu épais que ma mort n’en finit pas de me chercher. La mort n’imagine pas qu’un homme puisse devenir une abstraction.
Je ne possède pas de mort car ma vie est ridicule et le ridicule ne tue toujours pas.
Temps
L’ÉDUCATEUR : Il faudrait que tu te débarrasses de ta mère.

LE RÉSIDENT : Fais attention à ce que tu dis.

L’ÉDUCATEUR : Je sens qu’elle ne te convient pas bien.

LE RÉSIDENT : Ne parle pas comme ça de ma mère. Je pourrais te faire mal.

L’ÉDUCATEUR : Si tu veux, je te donne la mienne.

LE RÉSIDENT : Quoi ?

L’ÉDUCATEUR : Ma mère, je te la donne.

LE RÉSIDENT : Tu crois que c’est correct, donner sa mère ?

L’ÉDUCATEUR : Ça fait partie de mon travail.

LE RÉSIDENT : Putain de métier de chiottes !

L’ÉDUCATEUR : Ne rêve pas. C’est seulement pour la journée.

LE RÉSIDENT : C’était trop beau. Un moment j’ai cru que tu étais devenu un ami…Et qu’est-ce que je vais en faire de ta mère ? Une, ça me suffit.

L’ÉDUCATEUR : Tu lui parles. Elle t’écoute.

LE RÉSIDENT : Pourquoi ta mère m’écouterait ?

L’ÉDUCATEUR : Parce que je lui demande. Elle a des oreilles grandes comme des couvercles de poubelles.

LE RÉSIDENT : Et ma mère, pendant ce temps-là, qu’est-ce qu’elle devient ?

L’ÉDUCATEUR : Je m’en occupe.

LE RÉSIDENT : Tu t’en occupes comment ?

L’ÉDUCATEUR : Ca ne te regarde pas, c’est ma mère.

LE RÉSIDENT : Ma mère, c’est ta mère ?

L’ÉDUCATEUR : Jusqu’à minuit.

LE RÉSIDENT : C’est aussi simple que ça ?

(…)

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