Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Début

une longue pièce, disons aussi qu’elle faisait office de cuisine et de salon. Après on imagine ce qu’on veut. Il y avait une femme debout, de dos, devant une table. Un ours blanc était assis à la table. Elle épluchait des légumes et les jetait dans une cuvette rouge et l’ours se servait dedans pour manger. Dans un coin, il y avait un téléviseur qui diffusait un reportage en norvégien.). Qu’est-ce qu’on s’en fout (dit la femme). Il y a peut-être des choses qu’on peut apprendre (dit l’ours). Tout ça on le sait – le docteur répète là-bas (dit la femme). On peut toujours apprendre (dit l’ours). Que des Asiatiques se font sauter là-dedans (dit la grand-mère. Tiens, on découvrait qu’une femme âgée était assise dans un fauteuil. Ses épaules étaient recouvertes d’un châle.) nous parlons de moi (minaude la grand-mère) mais qui dit bon temps dit putes (ajoute-t-elle). On peut passer du bon temps en discutant autour d’une bière (dit l’ours en haussant les épaules). Mais s’il y a des chiennes en chaleur – la bière désaltère mieux – c’est vrai (fait remarquer la grand-mère. En fait, le plus étonnant c’était cet ours qui parlait). Tu n’as rien d’autre à raconter (demande la femme). Je donne des précisions (glousse la grand-mère) il y a ce que nous croyons savoir – et ce qu’il faudrait savoir. Et il y a des choses qui arrivent sans qu’on le sache (conclut l’ours, mû par un pressentiment. En effet, autant ne rien cacher : on entendit des coups frappés à la porte.). Nous n’attendons personne (interroge la femme en regardant l’ours avec perplexité). Non je ne crois pas (répond l’ours l’air surpris). Qui cela peut-il être (dit la femme). Nous attendions quelqu’un (se demande l’ours). Je ne crois pas (dit la femme. C’était l’incompréhension qui dominait. La femme s’était approchée de la porte et regardait par le petit trou.). C’est la tête du docteur (dit-elle après un moment). Le corps suit-il (demande malicieusement la grand-mère. Disons quelque chose de la personne qui entrait : c’était un homme assez grand. Il était docteur, la femme l’avait dit.). J’étais sur la route de Ny-Ålesund – il a neigé toute la nuit – les chenilles ne voulaient plus avancer (dit le docteur en enlevant ses chaussures). Oh mon Dieu les chenilles (dit la femme). Nous avons dû les abattre – une par une (dit le docteur en riant. Il avait fait allusion aux chenilles qui équipaient les motoneiges.). Il n’y a pas des cars (demande la grand-mère). D’eschares (demande le docteur en grimaçant). Le car – des autobus (dit la grand-mère). Bonjour Madame (dit le docteur). Bonjour docteur (dit la grand-mère. À cet instant, les uns et les autres se toisèrent un court moment. Nous ne savions pas encore tout. Qu’allait-il se passer ? Comme nous, le docteur parut hésiter.). Venez vous réchauffer docteur – venez vous coller près du poêle – nous passerons un jour à table – si quelqu’un veut bien nous donner à manger (dit la grand-mère). Toute cette neige ça doit donner faim (fait remarquer la femme. Apparemment elle, elle n’avait pas l’intention de se mettre aux fourneaux. Le docteur s’avança vers le poêle. L’autre, elle avait dit poêle, mais en fait il n’y en avait pas. Le mot avait été lâché un peu vite, comme lorsque les Canadiens disent « Tire-toi une bûche ! » pour inviter quelqu’un à s’asseoir, c’est plus chaleureux, mais répétons-le, (...)

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