Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Ça t’avait rendu de plus en plus fou, toutes ces choses qui étaient restées dans ta tête.

On l’avait fait pour ressentir l’émotion, c’est pour ça qu’on l’avait fait, à la récréation.

On ne pourrait pas l’expliquer autrement.

L’émotion c’était l’unique raison pour quoi on avait fait ça.

On s’était luxé l’épaule gauche, une fois, en ratant la marche des escaliers, on était trop pressé, c’est pour ça. On courait trop vite.

Le père te l’avait appris le mot de « luxé », le mot de « luxation ».

Il t’avait expliqué pour l’épaule cassée parce que les douleurs alors, on ne les ressentait pas.

Le père, il te disait qu’on n’arrêtait pas de tout détruire pour se construire, qu’on ne savait pas faire autrement que de tout détruire pour se construire tout le temps.

Il était temps, il t’avait dit le père, d’apprendre à construire pour se construire.

On ne comprenait pas.

Le père, il t’avait acheté le jeu du Batman.

On lui faisait faire des sauts périlleux, des bonds de géants, des sacrés sauts périlleux.

C’est en 3D qu’il était le jeu du Batman. Il te l’avait dit le père.

On mettait les lunettes cartonnées pour jouer.

C’était arrivé le 3 juin de l’année terminée, de jouer avec le hachoir pendant la récréation.

3D ça voulait dire que, par exemple, dans le jeu du Batman, on pouvait voir, quand on les mettait les lunettes cartonnées, les bâtiments très près des yeux, en relief.

Le père, il t’avait expliqué le mot du « relief » aussi : comme les montagnes qui sont sorties de la terre et qu’on appelle les Alpes quelque part ou le Jura.

On l’avait rajouté ce mot, à ta liste dans ton carnet d’étude.

On mettait les lunettes cartonnées pour jouer et le faire planer le Batman.

Les lunettes, le père t’avait expliqué qu’elles étaient fournies dans le jeu, dans la boîte, quand le père l’avait ouverte.

Ça n’avait rien coûté.

Il n’y avait pas eu besoin de les acheter en plus, c’était un bien ça.

Mais, Matthieu, ça t’avait fait mal aux yeux à force, les lunettes 3D, alors quelquefois, on avait fait une pause, pour jouer à P.E.S les matchs de foot sur P.S.3.

C’était arrivé le 3 juin de l’année terminée, on s’en souvient bien de la date dans ta tête.

Le matin on avait enroulé le hachoir dans un mouchoir pour le mettre dans ta poche et l’emmener pour chercher l’émotion à la récréation.

Ça avait été pendant la récréation que tes joues elles avaient été toutes glissées et répandues de gouttes très rouges.

Ça avait roulé le long de tes joues et de ton cou, quand Matthieu avait fait tournoyer le hachoir tout autour, tout au-dessus du corps et puis finalement dessus.

Sur tes bras, sur tes jambes et sur le long de ton cou, ça avait coulé ton sang.

Maxime s’était mis à rigoler, alors on avait répété tous les mouvements sur les bras et le cou et les joues et sur les jambes de Maxime.

Ça avait fait un grand rideau rouge dans tes yeux à force.

Mais on avait quand même eu le temps pour s’apercevoir que Maxime il était tombé dans une flaque de boue toute rouge, devant Matthieu.

« Flasque », on avait pensé dans ta tête à ce mot qu’on t’avait expliqué.

On n’avait pas ressenti des douleurs, mais l’émotion.

C’était un bien, ça.

On avait beaucoup entendu des cris, depuis qu’on était tout petit.

Quand on a pris l’habitude de les entendre souvent les cris, c’est difficile après, de trouver la sortie dans ta tête, où ça ne crierait plus.

C’était la femme qui ne voulait pas être la maman qui les criait les cris tout le temps.

Une fois, elle n’avait pas voulu te donner des sous, pour aller voir la fête avec les animaux du cirque, dans leur cage, avant qu’ils n’apparaissent sur la piste.

Après, elle n’avait pas voulu te donner des sous pour aller faire des essais de conduite dans les autos tamponneuses quand elles venaient avec leur musique de fête l’été sur la grande place du marché, à la sortie de la petite ville, où on avait été petit.

On l’avait tellement voulu que ça t’avait déclenché une longue colère.

La femme qui ne voulait pas être la maman criait les cris que c’était l’heure que le père lui apporte la tisane dans son lit.

Le père, il était en colère parfois, il te disait alors que la femme qui ne voulait pas être la maman était la seule à vouloir la faire la loi, que c’était fatigant.

Quelquefois on comprenait très bien ce qu’il voulait exprimer le père, et quelquefois on ne comprenait plus du tout, parce que ça devenait trop fort dans ta tête.

La femme avait crié les cris quand Matthieu s’asticouillait sur la moquette dans ta chambre.

C’est une sensation qui déclenche encore une peur dans ta tête.

Des fois, on n’arrête pas de se les répéter dans ta tête, les phrases de la femme qui ne voulait pas être la maman.

Quand Matthieu commence à te les répéter, ça dure tout le temps.

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