Éditions Espaces 34

Théâtre traduction

Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale

J’ai rendez-vous avec diEU

Personnages

Kakye [katché] Jeune femme approchant la trentaine.

diEU 1 Autorité de délivrance des visas.

diEU 2 Autorité de délivrance des visas.

Achen [atchèn] Jeune femme qui obtient ce qu’elle veut. Il lui faut un visa de séjour« temporaire » pour les États-Unis. Elle veut renaître.

L’Annonceur On dirait qu’il a répété ses répliques.

Voix 3/Fatima Femme ignorant que l’obtention d’un visa est un jeu de hasard.

Homme 1 Homme qui est déjà allé aux États-Unis plusieurs fois et qui croit connaître toutes les ruses pour y retourner.

Homme 2 Homme qui sait battre les diEUx à leur propre jeu. Il ferait n’importe quoi pour obtenir un visa.

La Foule Fait fonction de chœur. Elle devient tour à tour l’univers de Kakye à l’ambassade, et une représentation de divers types de demandeurs de visa dans les diverses ambassades états-uniennes du « monde en voie de développement ». (Les Voix peuvent être prises en charge par des acteurs ayant déjà un rôle attitré, comme celui d’Achen, d’Homme 1 ou d’Homme 2.)


Extrait, Premier Jour

Kakye et la Foule chuchoteront en aparté tant que la voix de l’Annonceur ne s’est pas tue.

Kakye. – Les Anges sont arrivés.

Voix 1. – Fini de chuchoter

Voix 2. – Fini de glousser.

Kakye. – Silence, gros soupirs, lourds soupirs,
Gros de peur et d’espoir,
Lourds de désespoir et de foi.
Cœurs qui cognent, palpitent, s’affolent.
Bientôt…

La Foule. – Nous serons appelés.

Kakye. – Chacun par un numéro, à comparaître devant notre diEU.

La Foule. – Ici, nous n’avons pas de nom. Nous sommes des numéros.

L’Annonceur. – Vos formulaires de demande de visa non immigrant… c’est bon !
Vos passeports en cours de validité… c’est bon !
100 dollars… c’est bon !
Les cinq premiers, avancez…

Kakye. – L’heure est venue…

L’Annonceur. – Accès numéro un…

Kakye. – Pour les fils et les filles de l’homme…

L’Annonceur. – Ouvert !

Kakye. – Lorsque les portes s’ouvriront…

L’Annonceur. – Entrez lentement. Par l’accès numéro un…

Kakye. – De rendre compte des transgressions commises dans leur existence.

L’Annonceur. – Vos documents à la main…

Kakye. – Et des transgressions commises dans leurs déplacements.

L’Annonceur. – Pas d’articles illicites !

Kakye. – Lorsque le Livre de la vie…

L’Annonceur. – Accès numéro un…

Kakye. – Sera ouvert…

L’Annonceur. – Fermé !

Kakye. – Mon nom sera-t-il inscrit dans ce livre ?
Le Livre de la vie ?
Cette fois il est 7 heures et quart du/

Achen. – Vous c’est la première fois ?

Kakye. – La dame devant moi avec des cheveux épais, celle qui n’a pas de veste, s’est retournée et me fait face.
… Pardon. Vous disiez ?

Achen. – La première fois ?

Kakye. – Oui.

Un temps

Achen. – Moi aussi. Tendue ?

Kakye. – Euh… hem. Et vous ?

Achen. – Non…

L’Annonceur. – Votre attention !

(…)

D’un signe, l’Annonceur demande à Kakye son sac et ses papiers qu’il examine et lui rend.

L’Annonceur. – Vos papiers.

Kakye. – Mes papiers.

La Foule. – Nos précieux papiers.

La Foule/Kakye. – Nous sommes fouillés
Des pieds à la tête,
De la tête aux pieds,
À l’extérieur,
À l’intérieur,
À l’envers, à l’endroit,
En dessous, au-dessus,
Sens dessus dessous !
Nous nous sentons tout nus.

L’Annonceur. – Accès deux ouvert. Passez sous le portique.

Kakye. – Je passe sous le portique
Je suis transie et tendue,
Je ne suis pas alerte,
Je suis inquiète.
Je ne suis pas moi-même,
Je perds la tête !
Je regarde en arrière
D’autres suivent !

La Foule. – Nous entrons en colonne…

Kakye. – Comme des fourmis en quête de nourriture.
Je lève les yeux,
Devant moi

La Foule. – Voilà donc où siègent les diEUx…
Voilà donc où les anges résident.
Voilà donc où les ordres se donnent.
Voilà donc où se nomment les saints.

Kakye. – Ô Seigneur, je veux être du nombre.
Du nombre de ceux
Qui sortiront d’ici
Le sourire aux lèvres !

Oh quand les saints
Entrent en colonne

Sa prière se change en gospel et, pendant qu’elle chante à mi-voix, on entend au second plan le discours du président Barack Obama :

“I marched with you in the streets of Chicago to meet our immigration challenge. I fought with you in the Senate for comprehensive immigration reform. And I will make it a top priority in my first year as President .”

[« J’ai manifesté avec vous dans les rues de Chicago pour qu’on affronte les défis que pose l’immigration. J’ai combattu avec vous au Sénat pour une réforme complète de l’immigration. Et j’en ferai une priorité absolue pendant la première année de mon mandat de président. »]

(…)

diEU 1. – Numéro 22.

Kakye. – Au tour d’Achen.
Je retiens mon souffle.
Je dis pour elle une prière muette.

diEU 1. – Bonjour.

Achen. – Bonjour, Madame.

diEU 1. – Comment se prononce votre nom ?

Achen. – Achen.

diEU 1. – Achen. C’est un joli nom.

Kakye. – Il doit s’agir du diEU sympa dont parlait tout le monde. Ça démarre bien.

Achen. – Merci, Madame.

diEU 1. – Et donc, que puis-je faire pour vous ?

Achen. – J’aimerais aller aux États-Unis d’Amérique pour un séminaire.

diEU 1. – Et alors ?

Achen. – Je ne peux pas voyager sans visa.

diEU 1. – Et alors ?

Achen. – C’est ici qu’on délivre les visas.

diEU 1. – Et alors ?

Achen. – Madame, vous avez mon formulaire de demande devant vous.

diEU 1. – Il faudrait voir à être plus polie, Mademoiselle.

Achen. – Tous ceux qui sont ici viennent pour une demande de visa, je croyais que c’était évident !

Kakye. – Ce diEU foudroie Achen du regard.
Pourquoi cet œil mauvais ?
C’est la voix d’Achen qui est trop forte,
Peut-être qu’elle a rendu notre diEU sourd !
C’est la peau d’Achen qui est trop foncée,
Peut-être qu’elle a rendu notre diEU aveugle !

diEU 1. – Que faites-vous dans la vie ?

Achen. – Je suis infirmière.

diEU 1. – Où travaillez-vous ?

Achen. – À l’hôpital Mengo.

diEU 1. – J’aimerais jeter un coup d’œil à votre relevé de compte.

Achen. – Voici, Madame…

diEU 1. – Avez-vous quoi que ce soit d’autre qui puisse prouver que vous avez des attaches fortes dans votre pays ?

Silence.

Kakye. – Qu’est-ce qu’Achen doit prouver de plus ?

diEU 1. – Je vous parle, Mademoiselle.

Un temps.

Avez-vous un terrain ?

Achen. – Non.

diEU 1. – Une maison à votre nom, peut-être ?

Achen. – Non.

diEU 1. – Une voiture ?

Achen. – Non.

diEU 1. – Mais vous n’avez rien !

Kakye. – Rien. Ça veut dire que je n’ai rien non plus.

Achen. – J’ai mon boulot. Un emploi qui paye plutôt bien.

diEU 1. – Qu’est-ce que vous entendez par qui paye plutôt bien ?

Revue de presse

« Une jeune femme d’un pays en voie de développement, Kakye, se rend à l’ambassade des Etats-Unis pleine d’espoir pour obtenir le visa qui lui permettra de se rendre à une « réunion ». Elle ne souhaite pas émigrer illégalement, elle reviendra, sa vie est dans son pays qu’elle souhaite aider les communautés avec un laboratoire d’idées.

Pour cela, elle a rendez-vous avec diEU. Qui est diEU ? Ces dieux, car ils sont plusieurs, sont les employés états-uniens de l’ambassade. Pour avoir le droit de visiter les États-Unis, il faut leur plaire et jouer leur jeu, mais les règles sont arbitraires et changent sans préavis.

La pièce relate la suspicion généralisée et continue des Occidentaux envers les ressortissants de pays « en voie de développement », alors qu’eux-mêmes sont des immigrants. Pourquoi les règles qu’ils appliquent aux autres ne s’appliquent-elles pas à eux ?

Il est intéressant d’adopter le point de vue africain sur l’émigration, avant même le départ.

La situation de Kalye est révoltante, pourtant le texte n’est pas dénué d’humour, ni d’espoir. »

[Babelio, 8 février 2022]


« La pièce est découpée en 3 jours, éclairés par 3 citations issues de présidents des États-Unis.

On relève sous la plume poétique d’Asiimwe Deborah Kawe, un discours engagé contre la difficulté de se procurer des papiers, la souffrance de la justification incessante, et la peur de la migration clandestine.

La pièce est un véritable plaidoyer contre les injustices liées à la délivrance des visas depuis les pays "du Sud" pour les pays "du Nord". »

[Babelio, 8 février 2022]


« Au travers du parcours de ces deux femmes, l’auteur nous montre avec talent combien de grandes puissances peuvent devenir inhumaines dans leur traitement migratoire. Outre l’absurdité des règles, voir leurs cupidités, c’est le règne de l’arbitraire et du passe droit, qui domine en maître.

La pièce est bien écrite et bien structuré. De nombreux effets de style et de mise en scène émaillent le récit, ce qui apporte une certaine respiration au déroulement de l’action. »

[Babelio, 20 février 2022]


" Les Ougan­dais pra­tiquent diverses langues afri­caines et ont deux langues offi­cielles l’anglais donc et le swa­hili.

Asiimwe Debo­rah témoigne de cette richesse lin­guis­tique dans sa pièce, J’ai rendez-vous avec diEU dont le texte fait sur­gir ici et là, la belle langue mys­té­rieuse du luganda au cœur de l’anglais.

Gisèle Joly pro­pose en 2021, une tra­duc­tion fran­çaise qu’elle a voulu ryth­mée, tenant compte de l’écriture ori­gi­nelle en vers blancs, mar­quée par le retour à la ligne, qui brise volon­tai­re­ment la conti­nuité des répliques.

Le titre de la pièce : Appoint­ment With gOD met en avant une forme uni­ver­selle de ce rendez-vous, à la dif­fé­rence de sa ver­sion fran­çaise jouant sur un sujet à la pre­mière per­sonne qui sera en fait incarné, dans le texte, par plu­sieurs per­son­nages qui subi­ront chacun(e) l’épreuve de la demande de visa à l’ambassade amé­ri­caine en Ouganda : « la foule » dans la file d’attente, sorte de choeur antique, Kakye qui vou­drait rejoindre un congrès d’échanges inter­na­tio­naux, Achen qui cherche à renaître, Fatima, des hommes dont un danseur..

Qui est gOD, qui est diEU ? Gra­phie en minus­cules et minus­cules rap­pellent peut-être qu’écrire ce mot sus­cite un trai­te­ment par­ti­cu­lier, qui va jusqu’à son effa­ce­ment, par exemple dans le judaïsme. Res­pect à dis­tance, sacra­li­sa­tion, peur sans doute de ses châ­ti­ments, sou­mis­sion à ses Lois.

Ici, il s’agit de ces hommes ou ces femmes, ces auto­ri­tés qui accordent ou refusent le visa pour péné­trer sur le ter­ri­toire amé­ri­cain. (...)

Assimwe Debo­rah Kawe dresse une satire impi­toyable de cette sélec­tion des émi­grants, ridi­cu­li­sés, mépri­sés. (...)

D’autres voix occi­den­tales inter­fèrent. Il s’agit d’extraits de dis­cours en anglais des deux der­niers pré­si­dents amé­ri­cains, Obama et Trump, à pro­pos de la ques­tion jus­te­ment de l’émigration."

[Marie du Crest, Le litteraire.com, 22 mars 2022]

Vie du texte

Dans le cadre d’Africa 2020, lecture dirigées par Aristide Tarnagda aux Ateliers Berthier le 3 juillet 2021.


Dans le cadre du cycle de lectures Ça va, ça va le monde, dirigées par Armel Roussel, une lecture est donnée au Festival d’Avignon le 16 juillet 2021.
Celle-ci a été enregistrée et diffusée sur RFI.


Lecture lors des Lundis en coulisse du Théâtre Narration, dirigé par Gislaine Drahy, à Lyon, le 28 novembre 2022.


Lecture dans le cadre de Textes sans frontières, accueilli par l’Espace Bernard-Marie Koltès de l’université de Lorraine, Nancy en 2023 :
— Esch Theater, Luxembourg, suivie d’une rencontre avec la traductrice, 10 décembre
— Madeleine, scène conventionnée de Troyes, 11 décembre
— Médiathèque du Grand Longwy (APALVA), 15 décembre
— Espace Bernard-Marie Koltès de l’université de Lorraine, Nancy, 16 décembre
— CDN - Nest – Thionville, 17 décembre
— Lycée Vauban – Luxembourg ville, 21 décembre

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