Éditions Espaces 34

Théâtre traduction

Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale

Le Goret

Scène 1
____

Frank. – Bonjour.

Groin, groin comme P’tit Goret fait son apparition avec un gâteau d’anniversaire. Frank joue deux vers d’une chanson à la trompette.

P’tit Goret, chante. – « I am a little baby pig and I’ll have you all to know
With my little curly tail and my nose that’s turned up so. »

Frank. – Ça c’est moi quand j’étais petit. (Chante deux vers de la chanson.) Comme vous pouvez voir j’étais un joyeux petit cochon (Joue de la trompette.) … du matin au soir.

P’tit Goret. – Du soir au matin !

Frank joue un vers de la chanson à la trompette.
P’tit Goret souffle les bougies du gâteau.

Frank. – La première fois que j’ai vu Joe il était en train de casser la glace de la flaque.

P’tit Goret. – Bonjour.

Joe. – Bonjour, Frank.

P’tit Goret. – Je m’appelle P’tit Goret.

Joe. – Non — tu t’appelles Frank. Frank, point final. T’es pas un cochon, dis ?

P’tit Goret. – C’est Mickey Douglas qu’a dit que j’en étais un.

Joe. – Il est où ton gros anneau de museau ?

P’tit Goret. – J’ai pas de gros anneau.

Joe. – Alors t’es pas un cochon.

P’tit Goret. – Qu’est-ce que tu fais ?

Joe. – Je casse la glace.

P’tit Goret. – Qu’est-ce que tu ferais si tu gagnais cent millions de milliards de dollars ?

P’tit Goret attaque la glace.

Joe. – Je m’achèterais un million de barres Flash.

Frank. – Le ciel avait la couleur des oranges.

Joe. – Ou un million de roudoudous.

Frank. – Quelqu’un avait peint le ciel en orange.

Joe. – Non — un million de barres Flash.

Frank. – Jusqu’au fin fond de l’horizon.

Joe. – Non — un million de Triggers.

Frank. – Orange.

Frank joue de la trompette.

P’tit Goret. – J’ai une cachette !

Frank. – On avait une cachette. Moi et Joe. C’était la meilleure cachette du monde.

P’tit Goret. – Hé les chiens, le premier qu’essaie de se réfugier dans notre cachette, il est mort.

Frank. – Tire dessus, P’tit Goret !

P’tit Goret. – Banzaï ! Banzaï !

Frank. – Aâââââârgh !

P’tit Goret. – Banzaï, faces de citron.

Frank. – C’est Joe et moi qu’avaient fait la cachette. C’était mon meilleur copain.

P’tit Goret, écrivant. – « Cette cachette a été constructée par Joe Super Purcell et moi et n’importe qui qu’essaie de rentrer dedans il se fait trouer la peau — alors restez dehors ou crevez. Ordre de Sa Majesté ! »

Scène 2
____

Frank. – C’est surtout Joe qui l’avait faite. Moi, je ramenais les bouts de bois. Joe, c’était le meilleur. Philip Nugent — il se prenait pour le meilleur.

P’tit Goret. – Ha ha ha.

Frank. – Quelle blague.

P’tit Goret. – Philip Nugent le meilleur.

Frank. – Quelle blague !

P’tit Goret. – Ha ha ha ha !

Frank. – C’était Joe le meilleur.

P’tit Goret. – Le meilleur !

Frank. – Philip et son blazer.

P’tit Goret. – Le vieux blazer.

Frank. – Et la cravate !

P’tit Goret. – La cravate !

Frank. – Cette sale vieille cravate à rayures !

P’tit Goret. – Cette sale vieille cravate à rayures !

Pause.

Frank. – Mais les bandes dessinées — les bandes dessinées, P’tit Goret !

P’tit Goret. – Les meilleures de toutes.

Frank. – Les bandes dessinées !

P’tit Goret. – Les meilleures bandes dessinées du monde.

Frank. – Dandy Beano Topper Victor Hornet Hotspur Hurricane Diana Bunty Judy —

P’tit Goret. – Et Commandoes !

Pause.

Frank. – J’ai dit à Joe :

P’tit Goret. – Il nous les faut, Joe.

Frank. – On l’a plumé — faut bien dire. Philip, il s’en fichait. Je le sais bien. C’était sa mère. Si elle s’en était pas mêlée, y aurait pas eu d’histoires. Mais ça, elle pouvait pas, pas vrai ?

P’tit Goret. – Toujours à fourrer son nez partout.

Frank. – Son nez partout — à tous les coups.

P’tit Goret. – Tout ça parce qu’elle avait vécu en
Angleterre.

Scène 3
____

Toc toc.

P’tit Goret. – Ouvre, M’man, c’est moi.

Toc toc.

Ouvre, M’man, c’est moi.

M’man. – Je vais me pendre.

P’tit Goret. – Toc toc ! Ouvre, M’man, c’est moi.

M’man. – Je vais me pendre. Reviens plus tard, P’tit Goret.

Frank. – C’est ce que j’ai fait. Quand je suis revenu, elle y était encore.

P’tit Goret. – Ça y est M’man, t’as fini de te pendre ?

M’man. – Non, je le fais pas comme il faut.

P’tit Goret. – Ben, c’est pas ce qu’on dit dans cette ville, Maman ? Ces cochons — ils font rien comme il faut.

M’man. – C’est ça qu’on dit, petit.

P’tit Goret. – Autant me laisser entrer alors.

M’man. – Ah ben d’accord alors.

Frank. – Donc je suis entré.

M’man. – Tu veux dîner, petit ?

P’tit Goret. – Oui, je prendrais bien des pluches de patates et un vieux topinambour, s’il te plaît.

M’man. – Tiens.

P’tit Goret. – J’ai rencontré tout un tas de gens là-haut en ville.

M’man. – C’est vrai, P’tit Goret ?

P’tit Goret. – Vrai de vrai.

M’man. – Et qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?

P’tit Goret. – Ils m’ont dit : « C’est pour quand la prochaine panne, P’tit Goret ? »

M’man. – Et qu’est-ce que t’as dit, P’tit Goret ?

P’tit Goret. – J’ai dit : « Oh là là, c’est quoi une panne ? »

M’man. – Et qu’est-ce qu’ils ont dit, P’tit Goret ?

P’tit Goret, mâchonnant son pain. – Ils disent : « C’est quand on t’emmène au garage. »

M’man. – Ha ha — sont-ils drôles.

Scène 4
____

Toc toc !

Frank. – On est allés à la cachette. J’ai dit à Joe.

P’tit Goret. – T’es mon frère de sang.

Joe. – Ouaip !

P’tit Goret. – On se quittera jamais.

Joe. – S’ quittera jamais.

P’tit Goret. – Jamais.

Joe. – Jamais de la vie.

Frank. – Et on l’aurait jamais fait non plus. Sauf qu’un nez s’en est mêlé.

Mme Nugent. – Je t’ai prévenu et je te préviendrai pas deux fois ! Tu laisses mon fils tranquille !

P’tit Goret. – Oui, madame Nugent. (En aparté.) Vieille saperli salope.

Frank. – Faut dire ce qui est. On lui avait donné une bonne raclée à son petit Philip. Joe encore, pas trop. Moi par contre. Il était pas beau à voir avec sa tête au carré.
Je croyais qu’on n’en parlerait plus. Mais si.

Toc toc.

M’man. – Ah, bonjour madame Nugent.

Mme Nugent. – Madame Brady, j’aimerais bien savoir — elles sont où les bandes dessinées ? Vous savez combien ça coûte ? Vous savez ? Vous savez ?

M’man. – Comment vous savez que c’est Frank ?

Mme Nugent. – Comment je sais que c’est Frank !

M’man. – C’est toujours la faute à notre petit Frank !

Mme Nugent. – Oh, Dieu du Ciel !

M’man. – C’était peut-être pas lui. C’était peut-être pas Frank !

Mme Nugent. – Bien sûr que c’était Frank. (Inspectant la maison et reniflant avec mépris.) Cochons !

M’man, plus faiblement. – C’était peut-être pas Frank.

Mme Nugent. – Ça vit comme des cochons.

M’man, encore plus faiblement. – C’était peut-être pas Frank.

Mme Nugent. – Cochons.

M’man, qu’on entend à peine. – C’était peut-être pas Frank.

Mme Nugent. – Ça vit comme des cochons.

P’tit Goret grogne.

Frank. – Quand elle a été partie j’ai dit à M’man :

P’tit Goret. – T’es là, M’man ? T’es en train de te pendre ?

Frank. – Mais elle a pas répondu. Et je suis entré.

P’tit Goret. – T’es là, M’man !

Frank. – Assise au coin du feu.

P’tit Goret. – Assise au coin du feu.

Frank. – Sauf qu’il est où, le feu ?

P’tit Goret. – Qu’est-ce qu’on a besoin d’un feu ? Pas vrai, M’man ?

Frank. – On n’a pas besoin de feu.

P’tit Goret. – M’man ?

Frank. – M’man ?

P’tit Goret. – M’man ?

Frank. – Des fois, c’est pas des yeux qu’on a, c’est des pierres.

Scène 5
____

P’tit Goret. – Joe ?

Joe. – Frank.

P’tit Goret. – T’es là ?

Joe. – Je suis là.

P’tit Goret. – C’est triste, Joe.

Joe. – Y a une chose qu’est sûre — toi et moi, on est copains.

P’tit Goret. – Ça c’est sûr, Joe.

Joe. – Frank.

P’tit Goret. – Joe.

(...)

Extraits de presse

« Avec Le Goret (Frank Pig Says Hello), une pièce écrite par l’Irlandais Parick McCabe, à partir de son roman le plus célèbre, The Butcher Boy, Johanny Bert confirme ses talents d’inventeur exigeant dont on voit le point de vue se construire sur le plateau dans ses différentes strates esthétiques.

Au début, on retient son souffle. L’exercice de l’acteur-qui-fait-l’enfant est toujours périlleux et on se demande où nous emmène ce récit tout en clairs-obscurs, aux phrases courtes, saccadées, qui font faire des galipettes au présent, au passé, au futur.

Mais, assez vite, la magie opère et le comédien déroule cette histoire d’un enfant, ballotté entre une mère dépressive jusqu’au suicide et un père alcoolique, et qui se constitue dans la solitude et la dépréciation. Échecs en famille, à l’école, avec les copains, passage par la prison, pétages de plombs…

(…) Julien Bonnet est en réalité faussement seul. Sur le plateau, trois manipulateurs d’objets, de masques et de pantins fabriquent tout autour un monde métaphorique. Sans un mot et dans une densité de présence extrême, ils amènent qui un fauteuil (monté sur échasses pour atteindre la hauteur du podium), qui une trompette, qui la silhouette du père ou de la mère, ou un visage comme une prothèse humaine, des formes surprenantes et expressives conçues par Judith Dubois et superbement servies par les jeux de lumière et de vidéo. »

[Marina Da Silva, L’Humanité, 26 novembre 2012]


« La première image du Goret est un plateau incliné à presque 90° sur lequel un homme est tranquillement assis, comme si tout allait bien. Pourtant tout déraille, à commencer par lui, interné. Durant 1h30, Franck, surnommé P’tit Goret par les habitants de son village irlandais, discute, s’énerve, étreint son entourage - souvent aussi patraque que lui.

Au plateau, Julien Bonnet incarne ce féroce désordre intérieur avec une dextérité peu commune. Le metteur en scène, Johanny Bert, qui avait réussi à susciter de l’émotion avec un spectacle à base de bouts de papier, Post-it, nourrit pour sa part son spectacle d’une inventivité et d’une tendresse folles. Et s’il y a ici moins de marionnettes que dans son Opéra du dragon, il offre à son acteur des têtes de mousse d’apparence humaine pour l’accompagner dans son monologue.

Tout est finement travaillé, répété avec un respect total pour le texte, l’équipe et les spectateurs. Un magnifique théâtre accidenté et réconfortant, qui transfigure les difficultés inhérentes à cette pièce écrite par Patrick McCabe à partir de son célèbre roman The Butcher Boy. »

[Nadja Pobel, Le Petit Bulletin, n°690, 23 novembre 2012]


« Franck adulte se souvient de son enfance de P’tit Goret. Tout au long de la pièce, il va dialoguer avec son double enfant. Les trente-deux scènes sont autant de souvenirs épars qui restent gravés, comme si les pensées tournaient en boucle.
La narration n’est pas linéaire. Nous sommes dans la tête d’un homme dont les souvenirs tournent autour de ce qui l’a amené au meurtre et à la prison en passant par la case folie.

Malgré un tel sujet, l’auteur ne tombe jamais dans le mélodrame. Les scènes sont extrêmement rythmées, avec un humour grinçant et un côté enfantin. P’tit Goret a en effet des joies et des colères enfantines et immenses.

La pièce est scandée par des « toc toc » frappés aux portes que P’tit Goret passe son temps à vouloir ouvrir. La pièce égrène aussi des « tic tac » du temps qui passe et conduit inéluctablement au meurtre. Elle est ponctuée par des rires, des « ha ha », comme si tout cela n’était qu’une bonne blague. Et P’tit Goret de préciser que non, ce n’est pas drôle.
P’tit Goret se débat avec sa famille.

(…) Alors P’tit Goret s’accroche à son amitié avec Joe et rêve de couchers de soleil et de ciels orange. »

[Laurence Cazaux, Le Matricule des Anges, n° 138, nov.-déc. 2012]


« Et c’est dans son corps, avec son corps, que sa vie fracassée s’exprime. Le texte mêle les époques, le vrai et le faux, au gré d’une pensée associative, errante.

Devenu lui-même sa propre marionnette qu’il manipule, faisant sortir de sa bouche plusieurs voix, celle de Joe, celle de M’man, celle de P’pa, celle de Frank hier et celle de Frank aujourd’hui, Julien Bonnet déploie un éventail exceptionnel de talents. La scène, par exemple, où il fait dialoguer ses pieds, chaussés l’un d’une pantoufle, l’autre d’un escarpin à talon aiguille est époustouflante. »

[Trina Mounier, Les Trois coups, 24 novembre 2012]


« Pièce d’une remarquable intensité »

[Mouvement, long entretien de Johanny Bert et Elise Ternat, 15 novembre 2012]


« … le spectacle emporte l’enthousiasme

… l’extraordinaire et malicieux Julien Bonnet

Le spectateur comprend assez vite la lecture fort pertinente de Johanny Bert de ce texte ravageur, violent, très anglo-saxon, à la fois critique sociale, chronique noire des bas fonds névrotiques de l’âme humaine. »

[…491, février 2013]


« Bien que la lecture du Goret déclenche le rire, l’auteur parvient à créer une tension au fur et à mesure des mésaventures du P’tit Goret.

Si rien n’est clairement dit, tout est suggéré. Nous sommes transportés à chaque nouvelle étape de sa perte comme dans un rêve.

Le charme du Goret réside dans le jeu des répliques qui s’installe entre Franck adulte et P’tit Goret enfant : l’intérêt du genre autobiographique prend ici toute sa force.

Une pièce touchante qui fait hésiter le lecteur entre indignation et compassion. »

[L’avant-scène Théâtre, n°1346, juillet 2013]

Vie du texte

Création pour la première fois en France au Fracas-Centre Dramatique National de Montluçon/Auvergne dans une conception et mise en scène de Johanny Bert assisté de Thomas Gornet, avec Julien Bonnet (interprétation), Morgan Romagny, Jean Jacques Mielczarek, Stéphanie Manchon (manipulation sonores et techniques), du 12 au 17 octobre 2012.

Tournée de création 2012-2013
— Yzeure Espace, 23 octobre
— Théâtre de Cournon d’Auvergne, 27 octobre
— Théâtre des Célestins, Lyon, du 20 novembre au samedi 1er décembre
— Nouveau Théâtre de Besançon-CDN de Besançon et de Franche-Comté, du 5 au 7 décembre
— La Comédie de Valence-CDN Drôme Ardèche, du 18 au 21 février
— Scène nationale de Dieppe, 9 avril
— Biennale internationale des arts de la marionnette, Maison des Métallos, Paris, du 15 au 18 mai.

Tournée de création 2013-2014
— Festival mondial des Théâtres de marionnettes, Charleville-Mézieres (08), 25 et 26 septembre
— Espace culturel La Buire, L’Horme (42), 5 et 6 décembre.

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