Éditions Espaces 34

Théâtre traduction

Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale

Le mardi où Morty est mort

Scène 6

Sonny. – Et puis après, choisir son métier, choisir son salaire, choisir son sexe, choisir son régime pour pouvoir choisir la couleur de ses crottes !

Amanda. – Mm.

Sonny. – Et aussi ça : « T’as dix-neuf ans, comment ça se fait que t’as pas encore acheté la muraille de Chine ? »

Amanda. – Mm.

Sonny. – OOHH, et Londres, Marrakech, Ali-Azerbemen-nadi-korschto ! Pourquoi ? Je suis déjà ici alors pourquoi tout le monde trouve que je devrais être ailleurs ? Et la Bulgarie, l’Italie, l’Inde, putain, et…

Amanda. – Tu vois quoi, et il est pas seulement comme ça tout le temps mais en permanence ! À longueur de temps !

Edith. – Oui…

Amanda. – C’est pas qu’il est pas sympa mais. Tu vois. Moi j’ai envie de partir voyager et travailler à l’étranger… et… j’ai pas le courage de faire direct des études direct…

Edith. – Non…

Amanda. – Et rien qu’à l’idée de rester ici, j’ai le cœur qui fait comme ça, je me mets à respirer comme ça. Alors que Sonny, lui, c’est juste « tralalalala » et moi je sens « Ohhh ! Si seulement il pouvait se passer quelque chose maintenant ? » Et puis en plus il s’est passé un truc.

Sonny, au Papa Pasteur. – Naaan, mais, en fait, il s’est passé un truc.

Amanda. – Sonny, il s’est passé un truc.

Le Papa Pasteur. – Il s’est passé un truc ? Quoi comme truc ?

Sonny. – Quoi comme truc ?

Edith. – Quoi comme truc ?

Amanda, à Edith. – Juste un truc.
(À Sonny.) Juste un petit truc.

Sonny, au Papa Pasteur. – Pff, juste un petit truc, rien de grave.
(À Amanda.) Un truc ! Comment ça un « truc » ! Quoi ! Quoi ! Quoi ! Mais quoi ! Je m’arrache la tête, là ! AARGH !

Amanda. – Non mais je te le dirai après l’enterrement. Là maintenant je peux pas.

Sonny, au Papa Pasteur. – Donc y a rien. Tout va bien. À plus. AARGH !

Le Papa Pasteur. – Sonny !

Scène 7

Edith. – Oui, dans ce cas je comprends vraiment.

Amanda. – Oh oui c’est comme « Oh ! ». Cette énorme boule immonde. Est-ce que je devrais le dire ?

Edith. – Et c’est pareil pour moi./ Pendant trente ans, la vie a été la même et maintenant elle ne sera plus jamais la même. Johan m’a quittée et il a emporté le passé avec lui, et maintenant ce qui me reste c’est l’avenir.

Amanda. – Merci. Juste un peu de lait. Pas de sucre.

Edith. – Mais ça va être bien aussi.

Amanda. – Je le dis pas. C’est trop gênant. Non, je le dis pas. Je le dis pas.

Edith. – Mm. Ça c’est un bon café.

Amanda. – Mm.

Edith. – Mm.

Amanda. – Mm. C’est quoi cette ignoble boule sur ta joue ?

Edith. – Oh, une piqûre d’insecte, sans doute. Donc maintenant il faut que je fasse des projets et que j’agrippe l’avenir par la peau du cou. J’ai déjà réservé un billet pour Cuba.

Amanda. – Mais il faut que/ t’ailles le montrer !

Edith. – Je sens que l’avenir est là à m’attendre. Quoi ? Non c’est pas nécessaire. T’imagines ? Enfin pouvoir s’engager/ réellement dans le mouvement ouvrier.

Amanda. – Mais t’es peut-être malade !

Edith. – Mais non, je ne suis pas malade, ça se voit à peine. Et qui sait/ je trébucherai peut-être sur une nouvelle espèce d’orchidées qui portera mon nom plus tard ?

Amanda. – Mais c’est énorme ! Monstrueux !/ Oh, quelle heure il est ?

Edith. – Tout est absolument possible dans l’avenir. C’est ça qui est si bien.

Amanda. – Mamie, tu dois aller à l’hôpital !/ Vas-y maintenant !

Edith. – À l’hôpital ? Non, je ne veux pas aller à l’hôpital, je ne suis pas malade.

Amanda. – Faut que j’aille voir Sonny. Va à l’hôpital !

Edith. – À l’hôpital ? Je ne suis pas malade !

Amanda. – On s’en reparle plus tard.

Edith. – Je n’irai pas à l’hôpital !

Herbert. – Edith Ersmark, vos résultats sont prêts.

Edith. – AARGH, je ne suis pas malade !

Herbert. – Vous êtes mourante.

Edith. – AARGH !

Scène 8

Edith. – Mourante ?

Herbert. – Mourante.

Edith. – Mourante…

Un silence.

Herbert. – Mourante.

Edith. – Mourante !

Herbert. – Mour/…

Edith. – Mourante !

Herbert. – Mour/…

Edith. – MOURANTE !

Herbert. – OUI ! MOURANTE !

Edith. – Mourante. Oh mon dieu. (Un silence.) Comment ça mourante ?

Herbert. – Si seulement je ne faisais pas un métier si terrible. Regardez vous-même !

Edith. – Je ne suis pas mourante !

Herbert. – À quel moment ça a déraillé ? Mardi je sortais Morty… Morty ! Viens mon pépère ! Morty ! Oui, viens !

Le chien Morty. – Ouaf !

Scène 9

Le chien Morty se promène avec Herbert qui le tient avec une laisse invisible.

Herbert. – Si seulement ça commençait maintenant. Si seulement ça n’avait pas commencé il y a si longtemps.
Si seulement, si seulement, si seulement je m’étais plus amusé quand j’étais jeune. Si seulement je n’avais pas fait médecine. Si seulement je n’étais pas tout le temps enrhumé. Si seulement. Si seulement on m’avait proposé des sorties et si seulement j’avais osé accepter. Si seulement je ne m’étais pas appelé Herbert. Herbert ? Si seulement je m’étais appelé autrement. Si seulement la vie ne m’avait pas tapé sur les doigts dès que j’essayais de passer le seuil de la porte jusqu’au jour où je n’ai plus osé rien faire d’autre que de sortir mon chien. Si seulement il y avait un peu de compassion sur cette terre. Viens ici ! (Tire violemment sur la laisse invisible.)

Le chien Morty. – Ouaf !

Herbert. – Arrête ! Pas bien ! Si seulement on pouvait penser aux autres et pas à soi au moins une fois dans sa vie, mais non c’est toujours « moi » et « mes » besoins. Si seulement on permettait aux autres d’avoir des besoins au lieu de toujours leur demander de répondre aux nôtres ! Si seulement il y avait un peu de compassion sur cette terre. Qu’est-ce que j’ai dit ?! Viens ICI ! (Tire violemment sur la laisse invisible.)

Le chien Morty. – Ouaf !

Herbert. – Sale chien ! Arrête ! Maintenant t’arrêtes sinon t’en prends une ! T’entends ?! Et si seulement, si seulement, si seulement ! SI seulement je ne passais pas mon temps à ressasser tout ce qui a raté, tous les jours, à longueur de temps, tout n’aurait peut-être pas foiré et MAINTENANT J’EN AI RAS LE BOL DE TOI ! VIENS ICI ! (Tire violemment sur la laisse invisible.)

Le chien Morty. – Ouaf !

Herbert. – Qu’est-ce que tu fous ?! Mais qu’est-ce que tu fous ?! ARRÊTE tes saletés ! Arrête je te dis ! (Frappe le chien Morty.)

Le chien Morty sort une paire de ciseaux et coupe la laisse invisible.

Si seulement, si seulement, si seulement quelqu’un pouvait me dire « j’ai besoin de toi dans ma vie ». Si seulement je n’avais pas ce sentiment que Morty est sans doute le seul être à avoir envie de sortir avec moi… (Tire sur la laisse invisible. S’aperçoit qu’elle a été coupée.) Morty ? Morty ! Si ça, c’est pas un putain d’exemple de ce que je veux dire alors je sais plus moi. Il y a eu une erreur quelque part en cours de route et tout ce qui s’est passé après, c’est juste les conséquences de cette erreur. Si seulement il y avait un peu de compassion. Morty ! AARGH !

Edith. – AARGH !

Sonny. – AARGH !/ Amanda !

Amanda. – AARGH ! Pourquoi tu cries !

Extraits de presse

« Parmi les auteurs suédois les plus intéressants qui écrivent pour la jeunesse aujourd’hui (comme Erik Uddenberg, Jonas Hassen Khemiri, Malin Axelsson, Sofia Fredén), Rasmus Lindberg occupe une place à part.

Considéré comme l’un des auteurs montants, il vit et travaille dans le Grand Nord et développe depuis une dizaine d’années une écriture profondément originale et humaine dans une langue surprenante nourrie de métaphysique et d’absurde. »

[Le Piccolo, n°7, avril 2011]


« J’écris sur ce que je ne comprends pas, mais d’une manière que je comprends et que j’espère compréhensible pour les autres.
Les enfants sont des spectateurs qu’il ne faut pas prendre à la légère. Ils sont capables de tirer une vraie expérience artistique de la situation la plus simple. Ecrire pour eux exige une profonde connaissance de leur potentiel imaginaire. »

[Le Piccolo, n° 8, mai 2011]


« Pascale Daniel-Lacombe a été séduite par cette “fable désenchantée à l’humour corrosif”.

Il est vrai que Rasmus Lindberg, qui n’écrit pas que pour le jeune public, aborde ici avec un humour véritablement désopilant des sujets aussi complexes que “la mort, la maladie, la jalousie, la désillusion et l’absurdité de la condition humaine”. Absurde comme l’est la mort de Morty, tué par erreur et par hasard, “à la faveur” d’un ricochet malheureux, et comme l’est aussi le suicide d’Édith. Restent les autres, tous les autres qui sur Terre trouvent à se lamenter.

L’écriture extrêmement rythmée, saccadée, de Rasmus Lindberg, offre beaucoup de pistes à la compagnie. Pascale Daniel-Lacombe se réjouit déjà de “rentrer de plain-pied dans la vigueur de la modernité théâtrale, qui porte un souffle novateur et téméraire dans son expression littéraire”.

(…) pièce, pour tous les publics à partir de l’adolescence. »

[C.P., Le Piccolo, n° 10, juin 2012]


« La pièce de Rasmus Lindberg s’attache à des personnages de tous les jours, des personnages simples, épurés de toute introspection, qui vivent les événements dans une immédiateté presque naïve.

Ce sont des êtres qui réagissent au temps présent, qui portent le poids de leur passé et de leurs désirs sans intention préalable ou volonté de pouvoir.

Ils ont cette vérité du quotidien, loin de l’héroïque conscience des personnages aux prises avec de choix cornéliens, en réaction instinctive, presque animales, ils sont justes des bouillons d’émotions. »

[Bruno Gougniès, Reg’Arts, 28 mars 2014]


« Rasmus Lindberg [a] un humour grinçant qui nous rappelle les romans et les chansons les plus désopilantes de Boris Vian.

Voilà un spectacle en forme de purge de la terrible routine qui use nos artères. »

[Evelyne Trân, Le monde.fr, 28 mars 2014]


« Un regard singulièrement décalé sur notre univers, mixte de Jacques tai et Marx Brothers. »

[Jack Dion, Marianne, 28 mars 2014]


« Ecriture d’une grande originalité.

On rit beaucoup de choses d’une gravité pesante. C’est là le cœur du théâtre de Rasmus Lindberg. »

[Manuel Piolat Soleymat, La terrasse, n°219, 28 mars 2014]


« Rasmus Lindberg a tricoté une intrigue drolatique joliment absurde qui en dit long, mine de rien, sur le miraculeux bonheur scandinave.

Une écriture habile, empreinte de fantasmagories enfantines et d’élans vers un ailleurs fort improbable. »

[Jean-Pierre Léonardini, L’Humanité, 31 mars 2014]


« De derrière une palissade rose et verte qui sert de castelet, sortent les têtes des personnages. C’est le choix qu’a fait François Rancillac pour restituer toute l’énergie et l’efficacité de ce texte raide et surprenant d’une jeune auteur suédois Rasmus Lindberg, créé pour la première fois en France dans l’excellent traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres.

[Nicolas Arnstam, Froggy’s delight, mars 2014]


« Pour la première fois, une pièce du jeune auteur suédois Rasmus Lindberg est mise en scène en France. Une création drôle, vive et féroce, présentée au Théâtre de l’Aquarium par son directeur, François Rancillac.

(…) Un spectacle aux forts accents de BD, comme de dessin animé, au sein duquel les repères spatio-temporaux explosent pour faire surgir un monde à la fois hilarant et angoissé.

(…) Quel est ce monde qui s’ouvre à nous ? Celui d’un chien, Morty, qui échappe à son maître et se laisse surprendre, sur les genoux d’une vieille dame, par une balle de fusil qui le réduit en charpie. Celui d’un grand-père qui meurt, après avoir fait défiler, en quelques mots, toute la monotonie d’une vie. D’un pasteur qui se met à douter de sa vocation. D’une grand-mère, condamnée par une maladie incurable, qui fait face à un présent qui lui échappe…

Il faut beaucoup d’inventivité et beaucoup de précision aux cinq comédiens associés au Théâtre du Fracas (Julien Bonnet, Maxime Dubreuil, Thomas Gornet, Laëtitia Le Mesle, Valérie Vivier) pour faire tourner les rouages de cette mécanique folle. Tous sont remarquables.

Accoutrés à la façon de personnages de cartoon, ils nourrissent l’absurdité d’une société humaine tourmentée par les incertitudes de sa condition. On rit beaucoup de choses d’une gravité pourtant pesante. C’est là le cœur du théâtre de Rasmus Lindberg. »

[Manuel Piolat Soleyma, La Terrasse, n°219, 3 avril 2014]

Vie du texte

Pièce sélectionnée par LABO 07.

Pièce sélectionnée par la comité de lecture du Théâtre de la Tête noire, Saran.

Mise en lecture lors de Text’avril, au Théâtre de la Tête noire, Saran, le 7 avril 2011.

Dans le cadre du festival l’Europe des Théâtres, lecture à l’Institut suédois par Audrey Le Bihan (collectif Mona), le 12 juin 2011.

Pièce sélectionnée par le comité de lecture de la Comédie-Française en juin 2011.

Pièce lue aux Lundis en coulisse du Théâtre de l’Aquarium le 21 novembre 2011.


Création pour la première fois en France, dans une mise en scène de François Rancillac, au Fracas-CDN de Montluçon/Auvergne avec les acteurs permanents du CDN, Julien Bonnet, Maxime Dubreuil, Thomas Gornet, Laëtitia Le Mesle, Valérie Vivier, le 23 mars 2013.

Reprise de la création, Théâtre de l’Aquarium du 25 mars au 13 avril 2014.


Création par le Théâtre du Rivage, dans une mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, avec Mathilde Panis, Anne-Clotilde Rampon, Elsa Moulineau, Jan Peters, Titouan Huitric, Thomas Guené et Etienne Kimes, Théâtre am Stram Gram à Genève, du 30 novembre au 2 décembre 2018.

Tournée 2018-2019
— Théâtre de Gascogne à Mont de Marsan, 9 décembre 2018
— La Maison du Théâtre à Brest, 25 janvier 2019
— Théâtre du Champ de Foire à St André de Cubzac, 29 janvier
— Agora Billère, Espace James Chambaud à Lons12 février
— Le Moulin du Roc, Scène Nationale à Niort, 14 février
— La Garance, Scène Nationale à Cavaillon, 14 mars
— Le Théâtre du Pays de Morlaix, 21 mars
— Le Tangram, Scène Nationale à Evreux, 4 avril

Tournée 2020
— Scènes de territoire – Bressuire (79), le 9 janvier
— Scène Nationale Sud Aquitaine – Bayonne (64), les 26 et 27 mars

Tournée 2023
Le Meta-CDN de Poitiers, les 25 et 26 janvier
— L3T, Châtellerault, 9 novembre
— Comédie de Caen-CDN, 14 et 15 novembre
— Le Préau-CDN de Vire, 21 novembre
— Scène nationale Sud Aquitaine, Bayonne, 8 décembre
— Théâtre de L’Union-CDN, 13 et 14 décembre

Tournée 2024
— TnBA-CDN, Bordeaux, du 13 au 15 mars

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