L’espace littéraire se transforme. Les écritures d’aujourd’hui demandent à être accueillies au-delà des zones définies par des termes qui enferment. L’important n’est pas l’identification catégorielle mais la pulsion qui préside à la langue et à la pensée et qui donne à la littérature ses multiples formes. Cette collection est ce lieu pour des voix, des fictions qui appellent la parole et le corps. Un trouble dans les genres, des forces en mouvement, du désir, de l’audace, de l’invention.
inspirer
expirer
expirer tant et plus
le corps franchit les bords du corps
le corps déborde
le corps est plus grand que le corps, plus vaste, plus faramineux, plus prolixe, volubile, exubérant
le corps a dix fois plus de mots, dix fois cent fois plus de conjugaisons, cent fois mille fois plus d’alphabets
le corps est en avant du monde, en arrière du monde, au dedans du monde, au-dessus du monde, tout autour du monde
le corps fait trente-trois tours du monde minute, et encore trente-trois, et quarante-cinq et soixante-dix-huit tours minutes
de leur côté les mains se souviennent
bien sûr que les mains se souviennent
bien sûr qu’elles ont leurs souvenirs
bien sûr que leurs souvenirs ne sont pas les souvenirs dont on se souvient seul
seules les mains sont capables de retrouver
et cela revient, et les mains allant progressent, redécouvrant fur et à mesure ce qui n’était plus là et est toujours là
vie errante des mains
vie savante des mains
c’est là
c’est ça
c’est ici ainsi
cela va là
et souffler LA MÉMOIRE DES MAINS
inspirer
expirer
et souffle sort
et souffle vient du temps, des saisons
de la marche dans le temps, dans les saisons
de la marche du temps, des saisons
des lumières, des sons durant la marche dans le temps et les saisons, d’un hourra, d’une lueur incrédule à tout faible soupir, d’un appel long, d’un murmure, d’une grande haleinée
souffle est une cage qui s’ouvre en grand au marché aux oiseaux
et souffler au clair de lune
souffler et les braises s’allument
souffler et la mésange s’en va et les chevaux partent au galop
souffler sur la fleur de pissenlit
souffler plus long, plus long longtemps que les poumons ne le peuvent
souffler long longtemps, plus vaste vastement
être un homme et souffler plus long longtemps vaste vastement qu’un homme
être cet être à long long souffle
à souffle multiplié, démultiplié
à souffle capable de remonter tout le fleuve
à souffle capable d’aller plus haut que les hauts plateaux
à souffle capable de faire trente-trois fois le tour du monde
à souffle capable de porter le monde
à souffle Atlas portant l’atlas
souffler
cela qui lève l’homme plus haut que lui
corps extrait de lui-même, corps au dehors, corps qui prend le chemin de poudre blanche, va dans le travers champs, dans le travers temps
et corps existe encore, voix mêlées, voix du corps qui se mêle aux voix du monde, vents, klaxons, oiseaux, lamentation, extase, corne de brume
cela s’amalgame, cela prend forme
c’est un homme
c’est un homme que forme le souffle
un homme qui souffle un souffle qui forme un homme qui souffle un nouveau souffle qui forme un nouvel homme qui souffle un nouveau nouveau souffle qui forme un nouvel nouvel homme
et tourne
souffle tourne rond dans le même rond jamais le même
c’est qu’une chose en moins, c’est qu’une chose en prime, c’est qu’une vitesse là, un ralenti ici, c’est qu’un léger, un grave
cela tourne et demeure dans le tourne
et voilà que cela surgit puis disparaît puis revient puis tient puis s’éteint
voilà qu’une force centripète fait entrer dans le tourne, incorpore à, mêle dans
et tout est convoqué, tout est invité, tout est possible
l’orient est possible, l’occident est possible, le lever et le couchant et ce que l’on attendait et ce que l’on n’espérait plus