Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
Extrait 1
LA MÈRE DE TADASHI – Bonjour.
L’HOMME – Bonjour. Vous avez bien dormi ?
LA MÈRE DE TADASHI – Le train de nuit, c’est dur à mon âge.
Le frère et la sœur observent avec insistance la mère de Tadashi, en robe hawaïenne et lunettes de soleil.
LE GRAND FRÈRE – Vous êtes ?
L’HOMME – Ah, c’est la mère de Tadashi.
LA MÈRE DE TADASHI – Enchantée, je suis la mère de Tadashi.
LE GRAND FRÈRE – Enchanté.
LA JEUNE SOEUR – Bonjour.
LA MÈRE DE TADASHI – Comme vous êtes jeunes ! Le pays de Tadashi a aussi du succès auprès des jeunes ?
Le frère et la sœur se regardent.
LE GRAND FRÈRE – Euh… Oui, pour son côté un peu secret…
LA JEUNE SOEUR, pointant du doigt la mère de Tadashi. – On peut s’habiller comme ça ?
L’HOMME– À vos risques et périls.
LA MÈRE DE TADASHI – J’ai oublié mon maillot de bain, mais y en aura là-bas, hein ?
LA JEUNE SOEUR – Je ne sais pas…
L’HOMME – Je vous en vends un ? Par contre, c’est un bikini.
LA MÈRE DE TADASHI – Non, non ! Pas un truc de jeune. Quelque chose que je puisse porter… Une chemise de corps ferait l’affaire. Une chemise de corps. Vous auriez ça ? Une chemise de corps…
LE GRAND FRÈRE – Une chemise de corps ? Je ne sais pas…
LA MÈRE DE TADASHI – Vous ne portez pas de lunettes de soleil ?
LA JEUNE SOEUR – Hein ?
LA MÈRE DE TADASHI, montrant les siennes. – Des comme ça. Le soleil tape fort, là-bas. Il faut faire attention.
LE GRAND FRÈRE – On en achètera sur place.
L’HOMME – C’est bon, je peux vous en prêter.
L’homme sort deux paires de lunettes de soleil. Chacun chausse ses lunettes.
L’HOMME – Allez, le ferry va partir.
Le vent souffle.
L’homme, la mère de Tadashi, le frère et la sœur regardent en sa direction.
Une lumière éclaire la scène. Elle s’adoucit progressivement.
Chaque protagoniste a un verre de vin à la main et s’amuse.
On entend une musique douce. La mère de Tadashi s’assied sur la chaise.
LA MÈRE DE TADASHI – Le guide n’a pas arrêté de remplir mon verre de vin, et un matelot bien bâti m’a enlacée alors que je titubais sur le pont. Il m’a demandé : « Ça va, madame ? », et je lui ai répondu : « Oui, je danse. Je fais des pas de danse. Voulez-vous danser avec moi ? » Il a accepté en rougissant : « Avec plaisir, madame. » Alors je me suis amusée à coller ma poitrine contre lui.
L’homme, le frère et la sœur dorment, utilisant leur sac comme un oreiller.
La mère de Tadashi s’assied et s’endort progressivement.
Extrait 2, plus loin
Tadashi apparaît.
Il regarde autour de lui, puis étale davantage encore le tissu qu’il avait étendu tout à l’heure pour construire son territoire. Après avoir vérifié qu’il n’y avait personne autour, il soulève le tissu qui recouvrait la sœur, la transporte et la couche. Il a sur lui un échantillonneur, avec lequel il diffuse des sons de rivière ou encore de cigale.
LA JEUNE SOEUR, se réveillant et regardant autour d’elle – Hein ?
TADASHI – Hein ?
LA JEUNE SOEUR – Où suis-je ?
TADASHI – Au « hameau du ruisseau murmurant ».
LA JEUNE SOEUR – Pardon ?
TADASHI – Bienvenue à « Tadashi ».
LA JEUNE SOEUR – Tadashi ?
TADASHI – Vous êtes bien Mlle Asanuma ?
LA JEUNE SOEUR – Qui êtes-vous ?
TADASHI – Tadashi. Tadashi Furukawa. « Les cigales sont-elles heureuses ? »
LA JEUNE SOEUR – Ah…
TADASHI – Bienvenue au pays de « Tadashi ».
LA JEUNE SOEUR – Où sont les autres ?
TADASHI – Aucune idée.
LA JEUNE SOEUR – J’étais avec mon frère, le guide, et votre mère.
TADASHI – Ils sont peut-être coincés au contrôle d’immigration ?
LA JEUNE SOEUR – Peut-être.
TADASHI – Je m’en occupe.
LA JEUNE SOEUR – Merci. On peut vraiment s’installer ici ?
TADASHI – Oui, on va se débrouiller.
LA JEUNE SOEUR – Merci.
TADASHI, appelant avec son téléphone portable. – Ah, ah… Mahal, mahal… Oui, c’était bien à cause des formalités, j’ai réglé ça.
LA JEUNE SOEUR, à propos de l’échantillonneur – Qu’est-ce que c’est ?
TADASHI – Ne faites pas attention.
LA JEUNE SOEUR – Ah…
TADASHI – Mahal mahal.
LA JEUNE SOEUR – Mahal ?
TADASHI – C’est du tadashien.
LA JEUNE SOEUR – Pardon ?
TADASHI – Du tadashien. La langue de Tadashi, le pays. En gros, il n’y a que « oui » et « non ». « Mahal » c’est « oui » et « bahat » c’est « non ». On compose avec ça.
LA JEUNE SOEUR – C’est tout ?
TADASHI – C’est tout. Les mots, c’est mieux quand il n’y en a pas beaucoup.
LA JEUNE SOEUR – Je vois… Et quand c’est ni « oui » ni « non » ?
TADASHI – « Mahal bahat ».
LA JEUNE SOEUR – Non, mais « manger », par exemple…
TADASHI – Ça peut être n’importe quoi. On se comprend avec les gestes.
LA JEUNE SOEUR – Ah, d’accord.
TADASHI – Mais, on ne se sert pas trop du tadashien dans la vie de tous les jours. C’est surtout pour les festivals.
LA JEUNE SOEUR – Des festivals ? J’adore ça. Quel genre de festival ?
TADASHI – Bah un festival, c’est un festival. Quand c’est festif, c’est un festival… Je ne sais pas quoi dire de plus…
LA JEUNE SOEUR – Désolée…
TADASHI – Tu réfléchis trop. Faut pas trop s’en faire, au pays de Tadashi.
LA JEUNE SOEUR – Compris. Je peux m’installer par là ?
TADASHI – Vas-y, vas-y.
Tadashi diffuse toutes sortes de musique avec son échantillonneur.
La jeune sœur pointe du doigt l’appareil.
LA JEUNE SOEUR, intriguée – Mais qu’est-ce que…
TADASHI – Ah, ça…
Il touche l’échantillonneur pour diffuser divers sons : mugissement de vache, chant d’oiseaux, etc.
LA JEUNE SOEUR – Ouah !
Elle touche à son tour l’échantillonneur et on entend le mugissement d’une vache, entre autres sons.
LA JEUNE SOEUR – Oui, je comprends maintenant…
TADASHI – Vas-y…
LA JEUNE SOEUR – Merci.
Elle regarde Tadashi avec un petit sourire.
TADASHI – Quoi ?
LA JEUNE SOEUR – C’est bien, la barbe.
TADASHI – Ah… oui ?
LA JEUNE SOEUR – J’aime les barbes.
TADASHI – Bah, les barbes… c’est des barbes…
Elle lui touche la barbe.
LA JEUNE SOEUR – Impressionnant, ça fait très barbe.
TADASHI – Tu trouves ? Ma barbe fait barbe… Ça veut dire que…
Extrait 3, plus loin
LA VOISINE – Qu’est-ce que tu fabriques ?
LE GRAND FRÈRE – Euh… Rien…
LA VOISINE – Tu n’as pas vu Yô ?
LE GRAND FRÈRE – Non.
LA VOISINE – Bon…
LE GRAND FRÈRE – Je suis désolé.
LA VOISINE – Quoi ?
LE GRAND FRÈRE – J’ai fait quelque chose de mal ?
LA VOISINE – Comment ça ?
LE GRAND FRÈRE – Comme je n’étais pas conscient…
LA VOISINE – Tu as fait quelque chose ?
LE GRAND FRÈRE – Non.
LA VOISINE – Si. Avoue-le.
LE GRAND FRÈRE – Mais non, vous avez vu ma tenue ?
LA VOISINE – Avoue !
LE GRAND FRÈRE – Mais enfin ! Vous ne devriez même pas m’approcher.
LA VOISINE – Pourquoi ?
LE GRAND FRÈRE –Je risque de vous faire du mal.
LA VOISINE – Pardon ?
LE GRAND FRÈRE – Oui…
LA VOISINE – Qu’est-ce que t’as fait à Yô ?
LE GRAND FRÈRE – Rien…
LA VOISINE – Je te demande ce que tu lui as fait !
LE GRAND FRÈRE – Je vais te tuer ! J’ai un couteau ! Je tiens un couteau dans la main ! Je vais déchirer ça et le planter dans ton cœur !
LA VOISINE – Qu’est-ce que t’as fait à Yô ?
LE GRAND FRÈRE – Je suis pas au courant, j’te dis ! Et d’abord, c’est quoi, un « yô » ?
LA VOISINE – C’est mon fils.
LE GRAND FRÈRE – Ah. Et il est comment, votre fils ?
LA VOISINE – Pas comme les gens normaux.
LE GRAND FRÈRE – C’est-à-dire ?
LA VOISINE – Il mue. Il mue et se renforce de plus en plus. Sa peau pèle, pèle… Avant, c’était un être humain, mais là, il a dû évoluer.
LE GRAND FRÈRE – Qu’est-il devenu, si ce n’est plus un être humain ?
LA VOISINE – Je n’en sais rien. Ça n’a pas encore de nom. Il a trop mué, trop évolué, ça dépasse la notion d’homme, de femme ou d’être humain. Personne n’a encore jamais atteint son niveau.
LE GRAND FRÈRE –Vous aviez un tel fils ?
LA VOISINE – Oui. Mais il n’est plus là.
LE GRAND FRÈRE – J’aurais voulu le côtoyer !
LA VOISINE – Laisse tomber. Moi aussi, j’abandonne. Il doit être parti loin.
LE GRAND FRÈRE – Cherchons-le.
LA VOISINE – Ça n’a plus d’importance.
LE GRAND FRÈRE – Attendez ! Votre fils est formidable ! Il doit se sentir si seul. Je dois aller le voir.
LA VOISINE – Pas la peine. Personne ne peut le rattraper. Le problème (elle se pointe du doigt), il est là. (Elle range le linge étendu.) Je vais continuer ces lessives longtemps ? Hein ? Tous les jours, tous les jours… Je me lève, je fais la lessive. Je vais au travail, je rentre, je fais la lessive. Avant de me coucher, encore une lessive… Mais sans Yô, ce n’est plus la peine. Non, tu ne penses pas ?
LE GRAND FRÈRE – Vous voudriez bien… m’adopter ?
LA VOISINE – Comment ça ?
LE GRAND FRÈRE – Je suis sérieux. Que diriez-vous de faire de moi un deuxième « Yô » ?
LA VOISINE – …
LE GRAND FRÈRE – Si ça continue, je crains de perdre la tête.