L’espace littéraire se transforme. Les écritures d’aujourd’hui demandent à être accueillies au-delà des zones définies par des termes qui enferment. L’important n’est pas l’identification catégorielle mais la pulsion qui préside à la langue et à la pensée et qui donne à la littérature ses multiples formes. Cette collection est ce lieu pour des voix, des fictions qui appellent la parole et le corps. Un trouble dans les genres, des forces en mouvement, du désir, de l’audace, de l’invention.
(…)
ne pas s’arrêter
un centimètre seulement
sinon la mort
qu’ils n’arrêtent pas de cogner
sinon la mort
reptile
pisser en rampant
chier en rampant
franchir les cadavres de glace
sinon une balle et un rire
ou bien le rire et la balle
éclats de balles éclats de rire éclats de crânes
au-dessus de toi derrière devant
loin derrière loin devant
les crosses cherchent la nuque
chaque tête explosée son exultation
grisés de cervelle éclaboussée
leurs mains serrées aux fusils ils voudraient s’applaudir
mais non ne pas les lâcher sinon
alors les crosses empoignées se hurlent d’encouragement loin derrière loin devant
se vocifèrent d’admiration loin derrière loin devant
(passage suivant, centré sur la page)
de ton silence
desserrer les lèvres
fendre l’effroi
prononcer les mots d’après
prononcer que tu es vivant
te réapparaitre
Je
dire je
tu ne sais plus
je tu ne le sais plus
je t’ai cherché trouvé dans les décombres
je te dis tu pour que tu puisses dire je
alors te donner ma langue
porter ta voix
dire les faits
raconter l’histoire
un poème
un chant
du chaos de la cendre de la terre
l’herbe aujourd’hui repousse
écoute
tu entends
la pierre redevient chair
les fleurs se tendent vers le soleil
les gisants vont pouvoir se dresser
(…)
tu racontes
Zalmen Gradowski c’est mon nom. Je suis de Suwalki.
mes écrits ont été retrouvés le 5 mars 1945 près du four crématoire d’Auschwitz Birkenau dans une gourde allemande enterrée, en aluminium fermé par un bouchon de métal. Un carnet de 14,5 centimètres sur 9,5 centimètres. Écrit en yiddish.
Haïm Herman c’est mon nom. Je suis de Varsovie.
mes écrits ont été retrouvés à Auschwitz en février 1945 près de la voie ferrée, dans une bouteille d’un demi-litre bien cachetée. Je les ai rédigés en français le 6 novembre 1944. Je suis arrivé à Auschwitz le 4 mars 1943 par un convoi en provenance du camp de Drancy.
Lejb Langfus c’est mon nom. Je suis de Maków Mazowiecki.
deux de mes manuscrits ont été déterrés en avril 1945 près des ruines du crématoire III de Birkenau. retrouvés dans un bocal en avril 1945, par un habitant d’Auschwitz.
Zalmen Lewental c’est mon nom. Je viens de Cieschanov.
mes écrits ont été retrouvés en juillet 1961 et octobre 1962 à Auschwitz, écrits en yiddish.
Marcel Nadsari c’est mon nom. Je suis de Salonique
mes écrits ont été retrouvés en octobre 1980 à Auschwitz, écrits en grec.
Alexis est mon prénom. On ne connaît pas mon nom. Je suis un juif grec. En août 1944 je prends les photos des corps sur le bucher près du crématoire. J’enterre l’appareil photo. Dawid Szumlewski qui m’a donné l’appareil photo le fera sortir du camp grâce à la résistance clandestine.
Après la guerre, les habitants ont retourné la terre d’Auschwitz Birkenau cherchant l’or des morts. Ils ont détruits une partie des documents. Sans valeur, ils n’étaient pas en or.
D’autres ont été retrouvés en avril 1952.
Nous étions six parmi les centaines des Sonderkommando