Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
14 personnages, joués par 4 acteurs :
Ido
Dodoyama
Ogoro
Femme d’Ogoro
Fils d’Ogoro
Anchoku
Réalisateur
Le roi des cordons bleus
Policier 1 / Policier 2 / Policier 3
_Reporter 1 / Reporter 2 / Reporter 3
Début
IDO. – La journée avait été longue. J’ai pris le chemin du retour, sans oublier d’acheter un cadeau pour mon fils. Je n’avais plus qu’à tourner au coin de la rue pour arriver chez moi, quand je me suis trouvé face à une scène totalement inattendue…
Son d’un sifflet de police, biii biii biii.
Trois policiers entrent en scène.
POLICIER 1. – Reculez, reculez, reculez !
IDO. – Hein ?
POLICIER 1 / POLICIER 2 / POLICIER 3. – Faites demi-tour s’il vous plaît, la rue est bloquée.
IDO. – Je dois passer par là pour rentrer chez moi.
POLICIER 1. – C’est dangereux. Veuillez emprunter un autre itinéraire.
IDO. – Mais j’habite là ! Regardez, on voit ma maison.
POLICIER 1. – Hein ?! Où ça ?
IDO. – Là, c’est celle-là.
POLICIER 1. – Ah. C’est chez vous, alors ?
IDO. – Oui.
POLICIER 1. – Donc vous êtes M. Ido ?
IDO. – Absolument. Bon, je peux passer ?
POLICIER 1. – Oui. Non ! Attendez ici. J’appelle l’inspecteur Dodoyama. Restez calme, surtout.
Les trois policiers deviennent trois reporters de télévision.
REPORTER 2. – M. Ido ? Vous êtes M. Ido ?
IDO. – Oui, c’est moi, mais…
REPORTER 3. –M. Ido ! M. Ido est là !
REPORTER 2. – Euh, en ce moment même je me trouve devant la maison, aux côtés de M. Ido, le principal intéressé dans cette affaire. M. Ido est vert d’inquiétude, il a l’air très angoissé.
REPORTER 1. – M. Ido, un mot je vous prie ! Votre état d’esprit en ce moment ?
IDO. – Je suis, euh, surpris.
REPORTER 1. – M. Ido dit qu’il est surpris, apparemment il est stupéfait par ce qui se passe.
REPORTER 2. – M. Ido, depuis combien de temps êtes-vous marié ?
REPORTER 1, à voix basse. – Pouvez-vous répéter la question en répondant ? C’est pour faciliter le montage, vous comprenez.
IDO. – Ah, oui. Euh… Ça fait sept ans que je suis marié, mais on se fréquentait déjà bien avant. Au début on se croisait à la fête de l’université et puis… Dites, il est arrivé quelque chose à ma femme ?
REPORTER 2,se tournant vers ses collègues. – Hein ? Il n’est pas au courant, pour sa femme.
REPORTER 1. – Apparemment, M. Ido n’a pas encore été informé de tous les éléments de l’affaire.
IDO. – Euh, ma femme a fait quelque chose de répréhensible ? Pourtant, elle n’est pas mauvaise, vous savez. Plutôt discrète, et elle n’est pas du matin, ça c’est sûr. Mais elle s’occupe bien du petit, et elle me prépare mon casse-croûte pour le bureau, tous les jours, avec le plus grand soin…
REPORTER 2. – Ce n’est pas votre femme.
IDO. – Hein ? C’est le petit, alors ? Mais il n’a que six ans. Qu’est-ce qu’un gosse de six ans peut faire de mal ? Même s’il a fait quelque chose, c’est un caprice, sans plus.
REPORTER 2. – C’est un évadé de prison, M. Ido.
REPORTER 3. – Un évadé de prison s’est barricadé chez vous.
REPORTER 1 / REPORTER 2 / REPORTER 3. – M. Ido, votre état d’esprit en ce moment ?
IDO. – Ah, je suis soulagé… Hein ? ! Quoi ? Ma femme, mon fils ?
REPORTER 2. – Il les a pris en otage.
REPORTER 1 – Il est armé.
REPORTER 2 / REPORTER 3. – M. Ido, un mot je vous prie ! Votre état d’esprit en ce moment ?
Reporter 1 devient l’inspecteur Dodoyama..
DODOYAMA. – Du large ! Vous l’interviewerez plus tard. Barrez-vous, je vous dis !
Les reporters se dispersent.
DODOYAMA. – Vous êtes le mari, c’est ça ? Je me présente : inspecteur Dodoyama, préfecture de police de Tokyo. Alors, en ce qui concerne le compte-rendu des évènements, je pourrais parler de manière détournée pour ne pas vous affoler, esquiver les éléments principaux de l’affaire, rester évasif, ce genre de choses, voyez, mais cela peut être un facteur aggravant de souffrances psychologiques pour la famille des victimes, et là je parle d’expérience, vous pouvez me croire, la famille des victimes, donc, autrement dit vous-même, M. Ido, bref, pour toutes ces raisons j’ai décidé de vous parler sans détours, et donc pour entrer dans le vif du sujet, et ne rien vous dissimuler de la vérité, eh bien, comment dire, aujourd’hui, euh, un meurtrier…
IDO. – Un meurtrier ?
DODOYAMA. – Maîtrisez vos nerfs, s’il vous plaît. Je vais tout vous expliquer franchement.
Extrait 2
FEMME D’OGORO. – Mais pourquoi tu t’es évadé de la prison, bon sang ? Qu’est-ce qui t’a pris ?
OGORO. – C’est à cause du… du… du didi… du divorce.
FEMME D’OGORO. – Quel divorce ?
OGORO. – A cause de l’autre homme.
FEMME D’OGORO. – Quel autre homme ?
OGORO. – On m’a dit qu… qu… que tu avais un autre homme.
FEMME D’OGORO. – C’est sûrement pas moi qui t’ai dit ça, espèce d’enfoiré, connard ! C’est comme ça qu’on en est arrivés là ? (Reprenant son calme) Ecoute, y a pas de divorce, y a pas d’autre homme, à part celui qui est devant moi, et il a un flingue. Alors sors de chez lui, rends-toi, retourne en taule, fais ton mea culpa, dis-leur, je ne sais pas, moi, que tu étais aveuglé par la passion.
OGORO. – Je p…p…peux pas. J’… J’ai… J’ai tué un flic.
FEMME D’OGORO. – Tu as quoi ? !
OGORO. – Tu as entendu.
FEMME D’OGORO. – Imbécile, crevure, taré, débile ! Je vais divorcer, divorcer ! Je te jure, je le ferai, je le ferai !
OGORO. – Salope !
Ogoro fait le geste de frapper sa femme. Naturellement il ne peut pas l’atteindre puisqu’il est au téléphone.
Mais on le voit frapper sa femme comme il en avait l’habitude au temps de leur vie commune.
Effrayée par le souvenir de cette violence, la femme d’Ogoro laisse tomber le téléphone.
Puis elle ramasse craintivement le téléphone comme elle ramassait autrefois les objets éparpillés dans la pièce après les déchaînements de violence de son mari.
FEMME D’OGORO. – Sors de la maison de ce type. Relâche sa femme et son fils.
Ido lui arrache le téléphone.
IDO. – Voilà, maintenant tu as une idée assez juste de la situation. A partir de là, qu’est-ce qu’on fait, à ton avis ?
OGORO. – C’… C’… C’est l’anniversaire d… de mon fils. Laiss…Laisse-moi lu… lui parler.
IDO. –C’est l’anniversaire du mien aussi.
OGORO. – Vr… vr… vraiment ?
IDO. –Je lui ai même acheté un cadeau.
OGORO. – M… m… moi aussi !
IDO. – Ah ? Comment tu te l’es procuré ?
OGORO. – Je l’ai v…v…volé, quelle question.
IDO. – Bien sûr, bien sûr, tu l’as volé. Et qu’est-ce que tu as volé, alors ?
OGORO. – Une ca… ca… calculette.
IDO, surpris par la coïncidence. – Tiens donc, une calculette ? Ecoute, je te propose un deal : tu donnes à mon fils le cadeau que tu avais prévu pour le tien, et moi je fais pareil.
OGORO. – Qu’… Qu…est-ce que tu as acheté au tien ?
IDO. – La même chose que toi.
OGORO. – Une ca…ca…calculette ? quelle co… co… coco…
IDO. – Coïncidence. Incroyable !
OGORO. – Quelle marque ?
IDO. – Casio.
OGORO. – Connais pas. Je vais pas of…of…offrir à mon f…ff… fils une merde de dernière catégorie. Tu crois qu’un criminel peut accepter un deal pareil ? Ido, pour quelqu’un qui es dans les affaires, tu es nul en transactions. Nul nul nul !
Ido reprend le cadeau qu’il venait de donner au fils d’Ogoro, le jette par terre et le piétine. Ogoro fait de même. Tous deux sont surexcités.
IDO. – Tu veux être mon compagnon de voyage pour l’enfer ? (…)