Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.
ISBN : 978-2-84705-133-9
EAN : 9782847051339
13x21cm, 96 p., 14,80 €
Publié avec le soutien du Centre national du livre
2015
Les tristes champs d’asphodèles est une pièce sur la parole, comme très souvent chez Patrick Kermann.
Ici, un personnage, Lun, tente de faire dire à un autre, Lautre. C’est une tentative répétée dont le sens est elle-même – tentative inefficace, comique, désespérée.
Ces séquences sont ponctuées de scènes habitées par des figures tragiques, par la présence des « autres » (corps démultiplié du groupe), par la parole spectrale du père et le flot incontrôlé de la femme-point-trop-vieille. Mora, figure de l’amour entièrement tourné vers lui-même, traverse la pièce comme un papillon aveugle.
Dans ce territoire de l’entre vie et mort cher à Patrick Kermann, Lautre va, seul, muet, à part, rejeté, littéralement incompréhensible, étranger.
« relire en 2015 [cette pièce] est une urgence, celle de la (re)découverte d’une parole théâtrale incandescente, qui va aux confins d’elle-même, celle du poète qui nous parle de notre monde mais surtout des mots qui portent ce monde à bout de mots. Le texte s’ouvre sur une dédicace à des frères de théâtre : Béhar, Gabily, Lerch et Piemme, comme si Kermann fondait sa propre recherche au sein d’une communauté artistique et littéraire.
De quoi s’agit-il ? D’une épopée, qui se souvient en épigraphe de la source mésopotamienne (Kermann cite Gilgamesh). Ou plutôt d’une suite de rencontres et d’épreuves, numérotées et titrées pour deux personnages indissociables, soudés dans l’orthographe de leur nom : Lun ; Lautre.
Lun parle et Lautre n’y parvient pas. Il est incapable de « dire quoi ». Ils se meuvent tous deux, se séparant et se retrouvant, dans la ville du crépuscule (1) jusqu’à la nuit « agonisante avec ses brumes matinales » (14).
Ils croisent ainsi des garçons et des filles, le spectre d’un père, Mora l’amoureuse éperdue, trois empuses menaçantes, la femme-point-trop-vieille, le spectre de la mère, le meneur et tant d’autres simplement numérotés et tous ceux et celles qui passent et circulent dans les rues de la ville dangereuse (cf. les didascalies). A chacun sa voix, son articulation singulière du langage jusqu’au mutisme radical de Lautre, qui pourtant finira par se briser en chanson, venant de l’intérieur de lui
(…)
Mais ce qui fonde cette lutte du langage avec lui-même, ce pugilat entre les personnages, c’est la redite, le piétinement du sens comme l’on dirait tourner en rond. (…)
Il y a quelque chose que révèle la pièce de Kermann, c’est que l’impuissance du langage fait toujours basculer les hommes dans la violence du corps à corps. Les empuses sont des mantes religieuses, des violeuses, Mora la désespérée, une suicidaire et Lun, l’étrangleur, l’assassin de Lautre.
Rouge est la couleur du texte. »
[Marie Du Crest, La cause littéraire, 28 octobre 2015]
« Deux personnages ; Lun et Lautre. Mais il y en aura d’autres… (…) Lun parle pour aider Lautre à dire. Lautre qui voudrait dire, peut-être, mais ne peut pas. Alors Lun parle, mais parle bref, parle coupé. (…)
Lautre voit le monde passer devant lui, le monde s’offrir à lui, mais toujours il reste à l’extérieur. Comme si, sans les mots, il ne pouvait trouver sa place dans ce monde.
Les autres parlent, bien ou mal, ils ont des langues qui leur sont propres mais ils parlent, et leurs mots les définissent, les placent dans le groupe, sont signes de reconnaissance. Mais Lautre non.
Le théâtre de Patrick Kermann est véritablement un théâtre de parole. Il révèle une brà »lure, une incandescence. (…)
Il y a quelque chose de désespérant dans ce chemin totalement stérile que parcourt Lautre, et en même temps l’écriture de Kermann est d’une drôlerie et d’une vivacité formidables. (…) »
[Patrick Gay-Bellile, Le Matricule des Anges, n°173, mai 2016]