Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.
Extrait
... l’envol des grives ... des corneilles ... des choucas ...
... des étourneaux ... des courlis ... des craves ...
; et car j’ai dit arrêté net là / stoppé net là / j’affirme désormais que nous avons davantage d’éléments en commun qui ― nous séparent ― qui nous isolent ― qui nous scindent ― les uns les autres que d’éléments en commun qui nous rassemblent les uns les autres ; et car il est temps j’ai dit que nous parlions enfin de tous ces éléments en commun qui ― nous séparent ― qui nous isolent ― qui nous scindent ― les uns les autres au lieu qu’ils nous rassemblent j’ai dit et non j’ai crié nous ne sommes pas humains un jour nous serons humains j’ai crié ; arrêté net là / stoppé net là / je regardais littéralement subjugué l’apparition de ces crevasses dans les nuages le dévoilement de ces trouées des plaies j’ai crié cautérisées par le soleil ; arrêté net là / stoppé net là / je regardais le déploiement de ces champs et j’ai dit n’écoutant alors rien d’autre que les vents traversant ces coteaux sur la pente ; je regardais arrêté net là / stoppé net là / le balancement de ces branchages et de leurs feuillages la magnificence de ces arbres les saules pleureurs et les roseaux qui ne servent à rien d’autre qu’à être pliés vraisemblablement ; j’étais là / stoppé net là / arrêté net là / littéralement subjugué j’ai dit à me fondre dans le paysage et à ne plus rien voir d’autre comme solution autre à tout que cet élan à me fondre totalement dans le paysage balancé moi aussi par les vents charrié j’ai dit et littéralement bercé moi aussi par les vents ; et me laissant alors tanguer dans ces images m’y fondant m’y confondant littéralement et ne voyant alors plus rien d’autre comme solution autre à tout qu’à tendre définitivement vers cet effacement ; et car j’ai dit stoppé net là / arrêté net là / littéralement subjugué dans le paysage les images ne valent plus rien les images n’ont plus d’autre valeur que celle d’Outrage j’ai dit qu’Outrage j’ai crié fait aux hommes tout autant qu’Outrage fait aux animaux ; et car j’ai dit je suis désormais possédé littéralement possédé j’ai crié de toutes ces images qui n’ont plus d’autre valeur que celle d’Outrage qu’Outrage j’ai crié fait et répété qu’Outrage réitéré j’ai crié aux hommes j’ai dit tout autant qu’aux animaux j’ai crié ; et comment donc désormais pourrait-il donc en être autrement j’ai demandé puisque non nous ne sommes pas humains qu’ un jour nous serons humains quand nous serons fondus dans les paysages dévastés fondus confondus et effacés tels des paysages dévastés j’ai dit alors nous serons humains j’ai crié dans l’anéantissement ; et car j’ai dit ne nous faut-il pas nous atteler à faire en sorte de rendre aux images la puissance des images si nous nous attelons j’ai dit à rendre aux images la puissance des images si nous nous attelons j’ai dit à révéler la puissance des images contenue dans les images alors nous libérerons peut-être l’Outrage fait aux hommes tout autant que l’Outrage réitéré aux animaux ; ces hommes agenouillés leurs dos recourbés et ne servant plus à rien d’autre qu’à être pliés vraisemblablement ces hommes agenouillés avant d’être exécutés éliminés proprement liquidés de toute la surface de notre terre les torsades de leurs colonnes vertébrales surgissantes de leurs dos des fractures j’ai crié ; ces hommes rien de moins que des corps traînés sur nos trottoirs dans nos rues au bout de cordes attachés ligotés littéralement harnachés à l’arrière des mobylettes et ces autres hommes rien de moins que des corps accrochés là / suspendus là / pendus là / comme autant d’autres cablures électriques effilochées leurs figures recouvertes de toile de jute ; et des corps et d’autres corps exposés dans nos rues rien de moins que des corps d’enfants enrubannés dans des linceuls blancs rien de moins que des cadavres d’enfants gazés desséchés puis exposés sur nos trottoirs dans nos rues mais argh j’ai crié mais nous sommes humains nous sommes humains j’ai crié et puis non j’ai crié un jour nous serons humains j’ai crié (...)
Pièce lauréate des Journées des auteurs de Lyon 2014.
Mise en lecture à la médiathèque de Vaise, Lyon,en novembre 2014.
Pièce « coup de cÅ“ur » du Théâtre de l’éphémère au Mans, octobre 2014.
« L’œuvre de David Léon se tisse avec les voix. Un jour nous serons humains (opus 4) fait entendre sous la forme d’un poème dramatique un dire et un cri en humanité ou plutôt une parole du vivant : celle de « nos Bêtes » et la nôtre. (…)
Les oiseaux traversent le texte typographiquement comme ils traverseraient le ciel (pages 9, 12, 14, 15, 16, 18). Cortège des grives, corneilles, choucas, étourneaux, courlis et craves, jusqu’au bout du texte, p.22. Le langage articulé des hommes, en quelques pages, se creuse afin d’atteindre la délivrance de notre inhumanité.
Il y a dans ce texte quelque chose de l’écriture de Saint Jean, de l’Apocalypse, des destructions mais aussi de la Renaissance, que le futur du titre reprend. Au-delà des italiques initiaux du texte, en effet, un point-virgule sert d’incipit : ponctuation de l’entre-deux et de la rupture nécessaire et c’est ce même point-virgule qui constitue le dernier signe graphique du texte, comme une attente prophétique, un recommencement.
(…) »
[Marie du Crest, La cause littéraire, 1er juillet 2014]
« David Léon, acteur et auteur, écrit un théâtre de la séparation. Qui va jusqu’à séparer le théâtre de ses fondamentaux. Pas de dialogue entre des personnages, pas même de personnages nommés comme tels, pas de répliques du tac au tac qui font mouche. Mais le flux d’une parole obsédante, porteuse ou plutôt réceptacle de toutes les voix. Une plainte, un cri, le lamento d’un être saigné à vif. Qui court de son Å“uvre « Un Batman dans ta tête » à , ces jours ci, au festival d’Avignon, « Un jour nous serons humains ».
(…) L’actrice Marik Renner (…) parle enfin, comme une parole venue de l’intérieur elle aussi et qui parviendrait enfin aux lèvres, s’adressant aux pierres, aux oiseaux, puis, peu à peu, aux femmes et aux hommes assis là devant elle. Une mise à nu tendue. Un texte sans points, sans autres ponctuations que celles de ses slashs, tirets et parfois points-virgules, une parole qui s’enroule sur elle-même, avançant par vagues.
Par la suite apparaitront des hommes agenouillés, « leurs dos recourbés et ne servant plus à rien d’autres qu’à être pliés » tout comme « les saules pleureurs et les roseaux » mais ces derniers ne meurent pas d’une balle dans la nuque, ni ne lèchent le sang des suppliciés. Il sera aussi question d’outrage fait aux hommes autant qu’aux animaux, référence implicite à une phrase de Gilles Deleuze citée en exergue («
L’écrivain est responsable devant les animaux qui meurent. Ecrire non pour eux mais écrire à la place des animaux qui meurent »).
Un texte comme en apnée, fulgurant, que l’actrice dit avec calme et détermination, il n’en est que plus suffoquant. (…) »
[Jean-Pierre Thibaudat, Rue89, 12 juillet 2014]
« Stanislas Nordey a récemment entrepris lui aussi une mise en voix de « Un jour nous serons humains ». Pensez-vous que son approche entre en résonnance avec la vôtre ?
Stanislas Nordey est un fidèle du Théâtre Ouvert et à l’occasion, d’une carte blanche, d’un coup de cœur, il a choisi ce texte. Il avait lu précédemment Sauver la peau. Je pense qu’il y a dans nos deux approches une fraternité, j’entends dans la prise de parole en tant qu’écoute, engagement, pour faire entendre la manière dont le texte est écrit. Nordey n’ajoute pas de couches émotionnelles. Il vise une chose directe. Il y a cette même fraternité avec Hélène Soulié qui met en scène mes pièces, ainsi :Batman, Sauver la peau.
Ne pensez-vous pas que justement le soliloque, si important dans vos textes, ne permette pas de manière profonde cette dimension-là ?
Si, dans la mesure où il s’agit d’approcher en quelque sorte un rapport au public qui serait de l’ordre de la palpation. Mon pari c’est justement de considérer le texte de théâtre comme le roman dans sa réception par le lecteur et le spectateur. »
[Extrait de l’interview de David Léon par Marie du Crest, La Cause littéraire, 28 novembre 2014]
« David Léon est juste devant nous, là , presqu’à la même hauteur que nous, là dans la petite salle de l’auditorium de la médiathèque de Vaise ; seule une barrière nous sépare. Debout sans pupitre, avec son livre. Il est comme immergé dans le monologue.
Il baigne dans le halo bleuté, venu du ciel des projecteurs qui colorie le plancher. Il tient son livre, son texte dans la main gauche que la lumière irradie d’une blancheur presque surnaturelle. Le corps du lecteur se perd dans l’ombre : il y la voix, il y a la main droite qui, en quelque sorte, est le corps vivant des mouvements. Et le micro noir se dresse au centre de l’espace scénique. (…)
La voix est la matière du texte, comme une étoffe. Elle se retient : les mots sont graves, chargés des horreurs et abominations du monde : décapitations, tortures, inhumanité universelle. Dire plutôt que crier, sans pathos.
(…) Le texte est un long poème (dramatique) qui nous embarque dans ces images, ces litanies et prophéties. Et la poésie retourne au récitatif, à la musique en somme. »
[Marie du Crest, La Cause littéraire, 15 décembre 2014]
« … un homme seul dans l’immensité, absorbé, noyé par la cruauté des hommes envers l’espère humaine et l’espère animale. Sa parole est un cri de douleur, une complainte, répétitive comme une incantation, ou un appel à devenir humain.
Ce poème dramatique est traversé de visions parfois apocalyptiques et pourtant ô combien banales, de corps et d’éléments, de violence et d’obscénité à l’encontre de la nature humaine.
La langue en circonvolution ressasse et lutte, inscrivant son souffle à la manière de l’envol des oiseaux s’élevant dans le ciel. »
[L’Avant-scène Théâtre, n°1377, 1er février 2015]
Création lors des Sujets à Vif 2014, proposés par la SACD/Festival d’Avignon au Jardin de la Vierge, dans une mise en scène d’Hélène Soulié, compagnie Exit, avec le regard de David Léon.
Interprétation : Emmanuel Eggermont (chorégraphie, danse), Marik Renner (texte).
Lecture par Stanislas Norday, Théâtre Ouvert le 20 novembre 2014.
Lecture par les élèves du conservatoire de Poitiers, sous la direction de l’auteur et de Jean-Pierre Berthomier, dans le cadre de la cinquième édition des Bruits de langues, appellation donnée aux rencontres internationales d’écrivains, organisées par Martin Rass de l’université de Poitiers, le 2 février 2015.
Lecture par la compagnie de l’astre, dans le cadre du Festival de l’Astre, Paris, 22 mars 2015.
Résidence de recherche (février 2016) par la compagnie A corps perdus à l’université d’Artois à Arras en vue de la création à l’automne 2016 dans une mise en scène de Mikaël Bernard et interprété par Thibaut Madani.
Lecture par Gislaine Drahy (Cie Théâtre Narration), Université Catholique de Lyon, 10 mars 2016.
Création par la Compagnie A corps rompus, dans une mise en scène de Mikaël Bernard, avec Thibaut Madani, La Paillette, Rennes, 17 janvier 2017.
Lecture par Frédérique Dufour, compagnie Les Grisettes, lors du festival d’Avignon, Théâtre Artéphile, les 20, 21 et 22 juillet 2017.
Lecture-spectacle dans une mise en scène d’Emilie Lacoste, avec le musicien et compositeur Tanguy Tortajada, Maison de l’étudiant·e, Université Paris Nanterre, le 25 octobre 2022.
Création par la compagnie Draoui productions avec Sachernka Anacassis, Fabien Dechaumont, et création musicale de Fabien Dechaumont , Théâtre Jules Julien, Toulouse, du 31 août au 2 septembre 2023.
Puis Cave poésie, Toulouse, le 20 février 2024.