Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
Un balcon ; pour y accéder, un rideau de lanières en plastique.
Deux ouvriers sont en train de travailler.
Soudain, le Second Ouvrier s’arrête, pose les mains sur la rambarde et se met à regarder devant lui.
Premier Ouvrier. – Qu’est-ce tu regardes ?
Second Ouvrier. – Rien.
Premier Ouvrier. – Mais qu’est-ce t’as ?
Second Ouvrier. – Non, rien.
Premier Ouvrier. – Alors qu’est-ce qu’y a ?
Second Ouvrier. – Ben rien j’te dis.
Premier Ouvrier. – Tu t’es arrêté d’un coup.
Second Ouvrier. – J’pensais.
Premier Ouvrier. – Là maint’nant ?
Second Ouvrier. – Oui, maint’nant.
Premier Ouvrier. – Vas-y on t’écoute, à quoi tu pensais ?
Second Ouvrier. – Toi, y t’plaît c’boulot ?
Premier Ouvrier. – C’est à ça que tu pensais ?
Second Ouvrier. – Oui. Et ben ?
Premier Ouvrier. – Ben y en a là-dedans !
Second Ouvrier. – Mais non, j’parle du boulot.
Premier Ouvrier. – Si on faisait un bon boulot, p’t’être bien qu’y m’plairait.
Second Ouvrier. – On doit l’faire en noir, hein ?
Premier Ouvrier. – C’est ce qu’ils ont demandé.
Second Ouvrier. – Si c’était l’mien, j’le ferais d’une aut’ couleur.
Premier Ouvrier. – Mais comme c’est pas l’tien, tu l’fais en noir et puis c’est tout.
Second Ouvrier. – Allez, au boulot.
Premier Ouvrier. – Oui, au boulot !
Le Second Ouvrier se remet au travail, puis s’arrête à nouveau.
Second Ouvrier. – Noir !
Premier Ouvrier. – Quoi encore ?
Second Ouvrier. – On dirait une cage.
Premier Ouvrier. – Mais qui c’est qui doit y vivre, c’est toi ?
Second Ouvrier. – Moi jamais j’y vivrais.
Premier Ouvrier. – Bon, alors !
Le Second Ouvrier reprend son travail, puis s’arrête après quelques instants.
Second Ouvrier. – Y a plus d’vin, hein ?
Premier Ouvrier. – Ben non.
Second Ouvrier. – J’l’avais bien dit. Il était trop bon.
Premier Ouvrier. – Y t’a plu, hein ?
Second Ouvrier. – Ah ça oui !
Le Second Ouvrier reprend son travail, puis s’arrête après quelques instants.
L’eau non plus ?
Premier Ouvrier. – Quoi ?
Second Ouvrier. – Y en a plus ?
Premier Ouvrier. – Ben non.
Second Ouvrier. – Y a plus d’eau ?
Premier Ouvrier. – Ben non.
Second Ouvrier. – Y a plus rien à boire ?
Premier Ouvrier. – Non.
Second Ouvrier. – Même pas une goutte de café ?
Premier Ouvrier. – Non.
Second Ouvrier. – Et quand est-ce qu’on a fini l’vin ?
Premier Ouvrier. – Tout à l’heure.
Second Ouvrier. – Pendant qu’on mangeait ?
Premier Ouvrier. – Oui.
Second Ouvrier. – Et l’eau ?
Premier Ouvrier. – Pareil.
Second Ouvrier. – Moi j’en ai pas bu.
Premier Ouvrier. – C’est moi qui ai tout bu.
Second Ouvrier. – T’avais soif, hein ?
Premier Ouvrier. – Ouais.
Second Ouvrier. – Moi aussi.
Premier Ouvrier. – T’as soif ?
Second Ouvrier. – Ouais.
Premier Ouvrier. – Bon, quand on aura fini, on ira boire un coup.
Second Ouvrier. – Tu viens toi aussi ?
Premier Ouvrier. – Ben oui.
Second Ouvrier. – Et tu vas prendre quoi, toi ?
Premier Ouvrier. – Une limonade.
Second Ouvrier. – Avec toutes ces bulles, là ?
Premier Ouvrier. – Moi j’aime bien.
(…)
p. 23 à 27
(…)
Premier Ouvrier. – Et vous, vous voulez quoi ?
La Femme. – Je…
Second Ouvrier. – Vous êtes qui ?
La Femme. – Et je…
Premier Ouvrier. – Qu’est-ce vous faites ici ?
La Femme. – En fait…
Premier Ouvrier. – Vous pouvez pas rester là.
Second Ouvrier. – Comment vous avez fait pour rentrer ?
La Femme. – La porte était ouverte.
Premier Ouvrier. – Ah, la porte est ouverte, et alors ?
La Femme. – J’suis rentrée.
Second Ouvrier. – Et pourquoi ça ?
La Femme. – Comme ça… la porte était ouverte et j’suis rentrée.
Premier Ouvrier. – Mais ça s’fait pas !
La Femme. – Quoi ?
Second Ouvrier. – On rentre pas comme ça chez les gens.
La Femme. – Mais la porte…
Premier Ouvrier. – Quoi, la porte, la porte !
La Femme. – J’peux pas rester ici ?
Premier Ouvrier. – Non.
La Femme. – Et pourquoi ?
Second Ouvrier. – Mais comment ça, pourquoi !
Premier Ouvrier. – Vous pouvez pas rester ici.
La Femme. – C’est à vous la maison ?
Second Ouvrier. – Non.
La Femme. – Elle est belle.
Premier Ouvrier. – Quoi ?
La Femme. – La maison.
Second Ouvrier. – Mais comment ça « belle » ?
La Femme. – Ben, elle est belle !
Premier Ouvrier. – Mais qu’est-ce que vous en savez ?
La Femme. – Je l’ai vue.
Second Ouvrier. – La maison ?
La Femme. – Oui, entièrement. Elle est belle. Vous avez une belle maison !
Premier Ouvrier. – Elle est pas à nous.
La Femme. – Ah non ?
Second Ouvrier. – Non.
La Femme. – J’suis désolée.
Premier Ouvrier. – De quoi ?
La Femme. – Qu’vous ayez pas d’maison.
Second Ouvrier. – Mais bien sûr que si !
La Femme. – Et alors, qu’est-ce que vous faites là sur c’balcon ?
Premier Ouvrier. – Qu’est-ce qu’on fait là ?
Second Ouvrier. – Pourquoi, ça s’voit pas ?
La Femme. – Non.
Premier Ouvrier. – Ah bon, ça s’voit pas ?
La Femme. – Ben non. Vous faites quoi ?
Second Ouvrier. – Vous voyez pas ?
La Femme. – Non.
Premier Ouvrier. – On travaille.
La Femme. – Vous travaillez ?
Second Ouvrier. – Oui.
La Femme. – Mais c’est pas chez vous ici.
Premier Ouvrier. – Et alors ?
La Femme. – On rentre pas comme ça chez les gens.
Second Ouvrier. – Justement.
La Femme. – Mais vous, vous êtes là.
Premier Ouvrier. – Nous, on nous a appelés.
La Femme. – On vous a appelés ? Et qui ça ?
Second Ouvrier. – Le patron.
La Femme. – Et qu’est-ce qu’y vous a dit ?
Second Ouvrier. – Y nous a appelés et y nous a dit d’venir ici pour travailler.
La Femme. – Et qu’est-ce vous faites comme boulot ?
Premier Ouvrier. – On peint, vous croyez quoi, on peint !
La Femme. – Le balcon ?
Second Ouvrier. – Ben oui, on est sur l’balcon, on peint l’balcon.
La Femme. – Ah ! Et d’quelle couleur vous l’faites ?
Premier Ouvrier. – Noir.
La Femme. – Noir ?
Premier Ouvrier. – Non, finalement on va l’faire en rouge !
La Femme. – Ce s’rait mieux.
Premier Ouvrier. – Quoi ?
La Femme. – En rouge.
Second Ouvrier. – Moi aussi j’te l’avais dit.
Premier Ouvrier. – Tais-toi.
La Femme. – Rouge, c’est plus joli.
Premier Ouvrier. – Ça vous r’garde ?
La Femme. – Non, ça me r’garde pas…
Second Ouvrier. – C’est ça, ça vous r’garde pas.
Premier Ouvrier. – Et maint’nant laissez-nous travailler.
La Femme. – Continuez, continuez. J’vous dérange pas.
Second Ouvrier. – Et nous dérangez pas, hein !
La Femme. – Non, j’reste là…
Premier Ouvrier. – Vous restez là ?
(…)
« Cette écriture, construite sur des motifs récurrents fait de l’échange même le lieu d’une routine. Chacun a sa place, son rôle : celui qui pose la question, celui qui répond, celui qui doute, celui qui affirme... Cela nous dit la mécanique du quotidien dans laquelle ils sont pris, et peut faire écho aux Temps modernes de Chaplin – le corps de l’ouvrier emprisonné par le geste répétitif. »
[Estelle Moulard, la Gazette de Troisième bureau, mai 2011]
’Nta ll’aria est créé en sicilien par la compagnie Teatro pubblico incanto à Castrovillari le 7 juin 2007, puis en tournée en Sicile et en Italie.
Traduction en grec et lecture à l’Institut Français d’Athènes en 2013.
Lecture à Troisième bureau, lors du Festival Regards croisés, Grenoble, le 27 mai 2011.
Pièce sélectionnée pour le Prix Godot 2012 des lycéens et collégiens de Basse-Normandie, organisé par le Panta Théâtre.
Lecture lors des Lundis en coulisse du Théâtre narration, Lyon, le 30 avril 2012.
Pièce coup de cœur du Théâtre du Rond-Point, Paris.