Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
2è partie, p. 33 à 40
Lui. – Je trouve tout ça étrange
Elle. – C’est étrange
Lui. – Et tu sais ce que je ne comprends pas non plus ?
C’est que le terrain ne soit pas délimité
Elle. – Pas nécessaire sans doute
Lui. – Et qu’il n’y ait nulle part de panneaux d’avertissement
Elle. – Ça va peut-être se faire
Lui. – Et puis l’idée que ça fait sept ans qu’il est couché là
Sept ans
Dans cette saloperie
Elle. – Oui, c’est horrible
Horrible
Lui. – Quand on y réfléchit vraiment
À ce que ça signifie
Quand j’essaie de me représenter ça
Je… je
Elle. – Il ne faut pas
Vraiment, tu ne dois pas y penser
Pas de cette façon
Lui. – Non
Tu as raison
Tu as tout à fait raison
Il ne faut pas y penser comme ça
Et en réalité Jacob n’est évidemment pas couché là
Elle. – Pardon ?
Lui. – Eh bien oui, dans la réalité des choses il n’est pas couché là
Elle. – Dans la réalité des choses il n’est pas couché là ?
Lui. – Non
Elle. – S’il n’est pas couché là, qui est là alors ?
Lui. – Je veux dire…
Elle. – Dans la réalité des choses il n’est pas couché là évidemment !
Tu n’as vraiment pas changé hein
Pendant toutes ces années
Rien de changé
Lui. – J’essaie seulement de voir les choses d’une autre façon
Elle. – Tu essaies seulement de voir les choses d’une autre façon ?
Quelle connerie !
Tu essaies seulement de ne pas les voir
Comme d’habitude
Lui. – Ah, attaque frontale
Elle. – Ignore-la
Lui. – Tu préfères que je riposte ?
Elle. – Non
Lui. – Bien
Elle. – Parce que je devrais trop modifier mon image de toi
Il rit.
Oui, amusant hein
Lui. – Quelque chose s’est passé pendant que j’étais parti ?
Elle. – Des tas de choses se sont passées pendant que tu étais parti
Lui. – Je veux dire parti me promener là à l’instant
Elle. –Ah, c’est ça que tu veux dire ?
Non
Rien ne s’est passé
Lui. – Pourquoi tu es si différente tout à coup ?
Elle. – Je ne suis pas différente
Lui. – Si, différente de quand je suis rentré
Elle. – Peut-être que, à la réflexion, je ne suis pas si contente de te voir
Lui. – Si c’est comme ça, je ferais mieux de partir
Elle. – Oui, on la connaît celle-là
Lui. – Je ne répondrai pas à ça
Elle. – Non, je le sais bien
Lui. – Tu veux que je reste ?
Elle hausse les épaules.
Tu n’as qu’à dire si tu as envie que je reste
Rien de plus
Elle ne dit rien. Il se lève.
Bon, je m’en vais
Elle. – Lâche
Lui. – Qu’est-ce que tu dis ?
Elle se tait.
Tu ne vas pas commencer ?
Non
Je ne te permettrai pas
Je ne permettrai pas que tu… avec tous tes… tous tes…
Je ne veux pas de ça
Je ne veux pas de ça
Absolument pas
Il s’en va.
Elle. – Désolée
Lui. – Non
Elle. – Je t’ai dit désolée
Lui. – Non
Elle. – Désolée désolée désolée sorry sorry sorry
Il s’arrête. Silence. Elle se lève et s’approche, elle est tout près de lui. Il ne réagit pas. Elle tente d’accrocher son regard, il l’évite.
Lui. – Qu’est-ce que tu veux ?
Elle. – Ce que je veux ?
Lui. – Oui, qu’est-ce que tu veux ?
Un peu maladroitement, elle l’enserre de ses bras comme si elle voulait le soulever. Il se laisse faire.
Elle. – Hou la la, tu es devenu lourd
Elle tente encore de le soulever, puis elle remonte son pullover.
Oh, et de vraies poignées d’amour aussi
Lui. – Laisse
Elle. – Tu vis bien, non ?
Ou bien alors tu manges n’importe quoi
Un homme seul
Bien sà »r ça ne soigne pas
Il faut manger sain de temps en temps, tu sais ?
Et boire moins évidemment
Personne ne te dit ça ?
Lui. – Si
Elle. – Ta mère certainement
Lui. – Ma femme
Elle sursaute, s’écarte. Long silence.
J’avais espéré que nous
Que nous… qu’aujourd’hui
Que nous puissions commencer quelque chose de neuf
J’y crois moi
Je crois qu’on peut
De nouveaux rapports
Oui
C’est con hein ?
Elle. – Tu la connais depuis longtemps ?
Lui. – Deux ans et demi
Elle. – Et pendant tout ce temps ta mère ne m’a rien dit
Lui. – Elle ne voulait pas te blesser
Elle. – C’est gentil
Et plein de compassion
Lui. – Ce n’est pas sa faute
Elle. – Non, naturellement que non
…
Je hais le bonheur
Les gens heureux
Pas toi ?
Il se tait.
Ils ont l’air tellement
Oui…
Lui. – Qu’est-ce que tu vois ?
Qu’est-ce que tu vois quand tu me regardes
Elle rit.
Je suis sérieux
Elle continue à rire.
Tu ris
Pourquoi ?
Elle. – Je ne sais pas
Comme ça
Lui. – Tu te moques de moi
Elle. – Non
Lui. – Tu te sens mieux ?
Quand tu ris ?
Quand tu te fiches de moi ?
Tu te sens mieux ?
Elle. – Je t’en prie, nous n’allons quand même pas verser dans l’analyse psychologique profonde
La femme rit mais en réalité cela signifie : je ne sais plus où j’en suis, à l’aiiiiide, je voudrais être sérieuse mais je ne peux pas
Elle se remet à rire.
Je suis désolée, je ne voulais pas te blesser
Lui. – Tu ne me blesses pas
Elle. – Encore heureux
Lui. – Je te demande simplement de me dire ce que tu vois quand tu me regardes
Je suis sérieux : qu’est-ce que tu vois quand tu me regardes ?
QUOI ? Tu vois quoi ?
Elle. – Je vois heu…
Lui. – Dis-le
Elle. – Je vois un homme
Lui. – Un homme heureux ?
Un homme malheureux ?
Elle. – Arrête ces bêtises
Lui. – Je suis sérieux
Elle. – Que veux-tu que je te dise ?
Lui. – Ce que tu VOIS
Elle. – Je ne peux pas simplement te regarder et dire ce que je vois
Je ne peux pas
Quand je te regarde
Je ne vois que…
…
L’imperfection
Lui. – Donc tu vois un homme imparfait
Elle. – Non, pas seulement toi
Plus que ça
En général
L’imperfection en général
Je vois ce qui n’est pas là
Et qui aurait dà » y être
Je vois une histoire
Un passé
Un passé raté
Oui surtout ça
Un passé raté
Une histoire ratée
Lui. – Quand tu me regardes tu vois une histoire ratée
Elle. – Oui
C’est ainsi, non ?
Toi
Moi
Nous sommes une histoire ratée, pas vrai ?
Je regrette, je ne peux pas le voir autrement