Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
Extrait p. 16 et suivantes
Femme. – Il est quelle heure ?
Homme. – J’en sais rien.
Femme. – Comment ça t’en sais rien ? Tu vois, t’as même pas de montre ! Et comment qu’tu feras pour rentrer à la maison si tu sais même pas quelle heure il est ?
Homme. – J’rentrerai quand j’en aurai envie. En plus, d’ici on entend l’horloge de l’église.
Femme. – Y a du scirocco et quand y a du scirocco, l’horloge de l’église on l’entend pas.
Homme. – Qu’est-ce t’en sais, toi ? Tu t’es souvent retrouvée au bord d’la mer quand y a du scirocco ?
Femme. – Ouais, ça m’est déjà arrivé.
Homme. – Quand ça ?
Femme. – Une fois.
Homme. – Et y avait du scirocco ?
Femme. – Ouais.
Homme. – J’te crois pas.
Femme. – Et pourquoi j’te mentirais ?
Homme. – J’en sais rien moi.
Femme. – J’y ai été une fois, j’étais pas encore mariée. On était descendues à la mer avec ma mère, y faisait tellement chaud à la maison ! On s’est mises à regarder l’ciel… Y avait plein d’étoiles ! J’avais jamais vu autant d’étoiles ! Tout à coup ma mère me fait — Quelle heure il est ? — Va savoir ! que j’lui réponds et elle, elle me fait — Attends, y a l’horloge qui va sonner. — Tu parles ! On a attendu, attendu, mais l’horloge elle a pas sonné.
Homme. – C’est vous qui l’avez pas entendue.
Femme. – Bien sûr, y avait du scirocco !
Homme. – J’parie que vous arrêtiez pas de bavasser… ta mère quand elle commence…
Femme. – C’est pas vrai je te promets, on disait rien, on n’entendait qu’la mer.
Homme. – C’est ça, mais moi, l’horloge j’l’entendrai, en plus, tu vois, ce soir la mer elle bouge même pas.
Femme. – Vierge Marie comme c’est beau ! Tu sais, moi, la nuit, la mer, ça m’fait peur.
Homme. – Pourquoi ça ?
Femme. – J’en sais rien ! C’est p’têtre parce que j’la vois pas. J’sais pas où elle commence.
Homme. – Elle commence là, tu vois pas ?
Femme. – Non.
Homme. – Donne-moi ta main.
Femme. – Pour quoi faire ?
Homme. – Je veux t’la faire toucher.
Femme. – Non, pour quoi faire ?
Homme. – Donne-moi ta main j’te dis.
Femme. – J’vais m’mouiller.
Homme. – Qu’est-ce que ça peut faire, tu te l’essuieras après.
Ils plongent leurs mains dans l’eau.
Tu la sens ?
Femme. – Oui.
Homme. – Bouge ta main dans l’eau.
Femme. – Comment ça ?
Homme. – Comme ça.
Femme. – Vierge Marie ! Tu sais qu’j’l’avais jamais touchée la mer, la nuit ! Elle est pas froide l’eau.
Homme. – Non, tu peux même te baigner si tu veux.
Femme. – Ça va pas ? J’vais me baigner la nuit, maintenant ! Je me baigne déjà tout juste dans la journée ! Ça va, j’ai compris, j’vais m’en aller.
Homme. – Tchao.
Femme. – Tchao.
Pause
Femme. – Mais toi, tu te mets rien sur les épaules ?
Homme. – Qu’est-ce que tu veux que j’me mette ?
Femme. – J’en sais rien moi, une veste, un pull…
Homme. – Mais y fait pas froid du tout.
Femme. – Mais regarde, t’as les mains gelées ! J’l’ai bien senti quand tu m’as fait toucher la mer.
Homme. – Mais c’est rien.
Femme. – C’est ça, c’est rien ! Après tu vas encore dire que t’as mal aux mains.
Homme. – J’ai pas mal aux mains.
Femme. – L’autre nuit, tu t’es plaint.
Homme. – En rêve.
Femme. – Non, non tu rêvais pas, je t’ai bien entendu. Moi je faisais semblant d’dormir, mais je t’entendais. Tu te frottais les mains et tu te plaignais. Tu te frottais même les pieds. T’avais aussi les pieds froids.
Homme. – J’m’en rappelle plus.
Femme. – Quand c’était… la semaine dernière, vers trois heures du matin.
Homme. – Mais qu’est-ce que tu fabriquais, tu dors pas la nuit ?
Femme. – Je t’avais attendu toute la nuit.
Homme. – Et tu dormais pas ?
Femme. – Non.
Homme. – Pourquoi donc ?
Femme. – Je faisais semblant.
Homme. – Je vois pas pourquoi tu fais semblant. Si tu dors, tu dors, sinon t’as qu’à m’le dire.
Femme. – C’est ça, toi t’es arrivé crevé…
Homme. – Crevé par quoi ?
Femme. – J’en sais rien, moi.
Homme. – Faut qu’tu m’le dises quand tu dors pas.
Femme. – D’accord. ( ) Tiens, prends ce foulard.
Homme. – Pour quoi faire ?
Femme. – T’as qu’à t’le mettre autour du cou.
Homme. – Mais j’te dis que j’ai pas froid.
Femme. – T’as qu’à l’prendre quand même. Tiens.
Homme. – Non, garde-le.
Femme. – J’en ai pas besoin moi, j’en ai pour deux minutes à rentrer. Si t’as l’intention de rester encore ici… Prends-le.
Homme. – Bon, donne-le-moi.
Femme. – Tu vois bien.
Homme. – Quoi ?
Femme. – Tu l’as quand même pris.
Homme. – T’as tellement insisté.
Femme. – Tu veux que j’m’en aille ?
Homme. – J’ai rien dit, moi.
Femme. – Mais le foulard tu l’as juste pris… pour que j’m’en aille ?
Homme. – Non, j’l’ai pris pour me le mettre autour du cou.
Femme. – Tu veux que je te l’mette moi ?
Homme. – Je me le mettrai moi-même, plus tard.
Femme. – Bien sûr ! Tu t’le mettras quand t’auras déjà pris froid au cou, c’est ça ? Mets-le-toi tout de suite. J’vais te le mettre moi.
Homme. – Bon, mets-le-moi ! Mais serre pas trop.
Femme. – T’inquiète pas. Ca va comme ça ?
Homme. – Ça va.
Femme. – C’est bon, va, j’m’en vais.
(…)
La pièce Mari a reçu le Prix spécial du Jury du Prix Riccione pour le Théâtre en 2003.
Coup de cœur du comité de lecture du Théâtre de la Tête noire en 2011.
« Délicieux duo musical en dialecte de Messina, que l’auteur a dédié à tous ceux qui “aiment sans mot”, pendant qu’il assiste au prolongement d’un bref adieu répété, au bord de la mer, entre un mari effrayé de rester seul à pêcher et sa femme qui n’arrête pas de parler pour retarder son retour à la cuisine. Là aussi, une voix vibre, spasmodiquement intéressée au langage, et tend le filet invisible d’un sortilège amoureux fait pour emprisonner le mouvement aux rythmes de sa partition, en liant les deux figures poignantes dans la nuit de la mer. »
[Le Jury du Prix Riccione Teatro]
« ... ni l’un ni l’autre ne sait vraiment trouver les mots,
(...) Peu à peu, ils parviennent tout de même à se livrer (...) laissant percevoir toute la tendresse qu’ils n’ont jamais su exprimer. »
[L’avant-scène Théâtre, n°1298 du 15 février 2011]
Lire sur le site Altritaliani, en italien et en français, l’interview de Tino Caspanello sur Mer et A l’air libre par Julie Quenehen, traductrice.
« (…) je vais raconter l’histoire d’un couple qui s’aime, mais qui ne sait pas comment se le dire. Une nuit sans lune, au bord de la mer. Il pêche, elle l’attend. C’est très simple, très ordinaire, ça sonne comme du Beckett. Une grande pièce. »
[Léa Drucker interviewée par Nicolas Roux, Elle, 29.04.11]
« Mer, une pièce de Tino Caspanello, un texte pour lequel elle a eu un coup de coeur »
[Léa Drucker interviewée par Marie-Anne Klelber, JDD, 15.05.11]
« C’est la première fois que cet auteur sicilien, Tino Caspanello, est joué en France. J’ai été séduite par son écriture simple, naturaliste. Il fait partie de ces grands auteurs qui réussissent à retranscrire ces moments apparemment banals, pleins d’hésitations et de mystères. »
[Valérie Beck, Ile de France, 22.05.11]
« L’auteur sicilien, Tino Caspanello, utilise les mots comme les notes d’une petite musique. Sa belle partition raconte deux êtres qui ne savent exprimer leur amour.
(…) Comme le ressac de la mer, leur mal de mots pour dire leurs maux se fracasse contre des silences.
(…) Il y a beaucoup de tendresse dans ce texte court qui dure à peine une heure. Ce langage simple, qui ressemble à une litanie, peut dérouter et laisser certains spectateurs sur le bord. Mais si on se laisse embarquer, le voyage est séduisant. Il n’est pas aisé d’incarner les non-dits d’une pensée, les sentiments refoulés, et de faire ressentir cet amour retenu. Les deux comédiens parviennent remarquablement à interpréter cela. Ils donnent beaucoup de relief à ces êtres ordinaires.
(...) La mise en scène de Jean-Louis Benoît est esthétiquement magnifique, tant par la scénographie que par le mouvement qu’il a donné aux comédiens. »
[Marie-Céline Nivière, Pariscope, du 1er au 7 juin 2011]
« Dédiée à « ceux qui aiment en silence », la pièce de Tino Caspanello évoque ainsi l’histoire de tous les couples dont les sentiments – profonds, indéfectibles – ne s’expriment pas à travers des déclarations ou des attitudes enflammées.
Au sein de la mise en scène picturale et intimiste de Jean-Louis Benoit (mise en scène qui instaure une belle atmosphère bleue nuit), Léa Drucker et Gilles Cohen confèrent à leurs personnages ce qu’il faut de sensibilité et de profondeur. Petite réplique par petite réplique, en un peu moins d’une heure, ils font voyager notre imaginaire, prennent la place de l’épanchement et de l’effusion. Un univers dont la simplicité déploie un charme évanescent. »
[Manuel Piolat Soleymat, La Terrasse, n°189, juin-juillet 2011]
« Les acteurs, Catherine Vuilez et Philippe Fauconnier, devaient faire entendre, au-delà des mots et dans les non-dits, des sentiments essentiels : le désir profond d’aller vers l’autre entravé par la crainte de cette rencontre.
Le moment était à la fois étonnant et émouvant »
[La Nouvelle République, 9 octobre 2015]
Lecture de Mer lors du festival ActOral de Montévideo, Marseille, en octobre 2007.
Lecture d’extraits en français par Bruno La Brasca et en sicilien par l’auteur et Cinzia Muscolino, La Libreria, Paris, 13 décembre 2010.
Lecture par le collectif de Troisième bureau à Grenoble, le 21 mars 2011.
Lecture au Théâtre de la Tête noire à Saran, lors de Text’avril, le 8 avril 2011.
Création au Théâtre de l’Atelier, à Paris dans une mise en scène de Jean-Louis Benoit avec Léa Drucket et Gilles Cohen, du 14 mai à 18 juin 2011.
Nouvelle création par la Compagnie la Strada dans une mise en scène de Catherine Toussaint avec Véronique Mangenot et François Cancelli, MJC Intercommunale d’AY (51), le 5 novembre 2013.
Nouvelle création par la Compagnie La Lune blanche, dans une mise en scène de Michel Rivinoff, avec Catherine Vuillez et Philippe Fauconnier en 2015 :
— St Agil (41), le 2 octobre
— La Halle aux grains, scène nationale de Blois, du 20 au 23 octobre
— Théâtre de la Tête noire, Saran, le 6 novembre 2015
— Montoire-sur-Loire (41), le 3 décembre 2015
Tournée 2016
— Salle du cercle laïque, Ville de Mer (41), 30 janvier
— Ports-sur-Vienne (37) Communauté de communes de Sainte-Maure de Touraine, 2 avril
— Théâtre de l’Ephémère, Scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines, Le Mans, le 25 et 26 avril
— Festival d’Avignon off, Théâtre du centre, du 7 au 30 juillet
Tournée 2017
— L’Auguste Théâtre, Paris, du 14 au 19 novembre 2017.
Nouvelle création sous une forme conçue pour être jouée en appartement, dans une mise en scène de Bruno Ladet, avec Elisabeth Barucco et Bruno La Brasca, saison 2015-2016 proposée par le Théâtre du Hublot, voir ici.
Nouvelle création par la Compagnie Ong Dam (34), dans une mise en scène de Jasmine Dziadon, avec Jasmine Dziadon et Didier Organde, Carré Rondelet, Montpellier (34), du 18 au 20 février 2022.
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