Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.
Le texte « Neiges » a été écrit selon la structure « Jo-Ha-Kyu », présente dans les arts traditionnels japonais, notamment l’art du thé, les arts martiaux ou encore le théâtre Nô. Il s’agit d’une structuration en trois temps, correspondant à trois rythmes différents, que l’on peut traduire par lent, moyen et rapide.
On peut également interpréter le « Jo-Ha-Kyu » d’un point de vue spirituel ou philosophique.
Le Jo correspondant à la naissance de toute chose, le Ha à la floraison ou l’expansion et le Kyu à la disparition ou la transformation.
JO – DEBUT p. 9
Tout se forme, dure quelques instants, avant de se défaire.
Je marche dehors, au bord de la route.
C’est la fin de l’après-midi. L’hiver.
Il neige depuis le début de la semaine.
Je rentre chez moi.
Je fais ce chemin tous les jours, depuis des années.
C’est un moment particulier dans la journée.
J’ai quitté mon travail et je ne suis pas encore arrivé chez moi.
C’est une sorte d’entre deux. De flottement.
J’ai l’habitude de ce chemin.
Ma marche sait d’elle-même l’itinéraire, la direction.
Le rythme de mes pas s’est adapté à la neige. Je n’y fais pas attention.
Pas plus qu’au passage des voitures.
La neige tombe entre le jour et la nuit.
Elle tombe sur des milliers de vies comme la mienne.
Je pense à cela tout en marchant.
Tous ces gens qui, comme moi, rentrent chez eux et se retrouvent dans l’entre deux, sous la neige.
Un flottement.
J’ai perdu le fil de ma pensée.
L’espace d’un instant, j’ai été absent à moi-même.
Pendant une fraction de seconde.
Un vide m’a traversé.
Comme si j’avais été bousculé, de l’intérieur, par quelque chose.
Une absence.
Je suis arrêté au bord de la route.
Je regarde autour de moi.
Rien n’a été affecté par le vertige qui m’a saisi.
La neige continue de tomber. Les voitures passent près de moi.
Les autres passants ne se sont pas arrêtés.
Mais je ne bouge pas.