Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
Insenso
Je suis la comtesse Livia Serpieri. J’ai dénoncé mon amant
le sous-officier Franz Mahler comme déserteur de l’armée
autrichienne. Arrêté son exécution immédiate a été
ordonnée. J’ai entendu la salve. J’ai poussé un grand cri
et je me suis perdue en larmes dans la nuit de Vérone.
Depuis lors jusqu’à cet instant où je vous parle, je ne
pense qu’à une chose. * Vaghe stelle * Bien des années se
sont écoulées depuis cette nuit-là mais je suis encore
vivante. * Elle ne me laisse pas mourir. * Une chose qui
a le pouvoir de ne laisser mourir personne. * Je ne cesse
de la penser. * Elle et elle seule. * Je ne vis que grâce à elle
et elle seule. Elle est plus forte que ma propre mort.
// Donnafugata // Je porte encore la même robe.De parures
il ne me reste plus je les ai rejetées de mon corps elles me
pesait comme si c’étaient elles les coupables de ma
chute. Les coupables de la dévastation de mon coeur. De
l’asphyxie de mon être femme de l’embrasement de mes
nerfs. J’ai libéré mes mains mon cou les lobes de mes
oreilles des parures trop élégantes de mon désespoir ; je
le voulais mis à nu. Si je pouvais je rejetterais aussi cette
robe et tout ce qu’elle contient pour qu’ils me voient
comme Franz me voyait tous soldats officiers passant à
côté de moi comme des chevaux sans freins en sueur
après la victoire prêts à se ruer sur moi courant échevelée
dans la nuit de Vérone Ah oui ces mêmes cheveux
toutes leurs mèches folles ramassées au sommet desquelles
mes doigts furieux tiraient pour les déraciner déracinant
avec elles ce qui tenait encore mon cerveau hors des
ténèbres mon cerveau qui ne m’aidait pas à ne pas penser
cette chose que depuis lors jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas
cessé de penser et qui me tient encore en vie tout le
temps que ne surviendra pas celle que je pense. Quand elle surviendra je mourrai.// Sicile // Je regarde très souvent
mes mains. Je ne regarde presque qu’elles. Je les regarde.
En elles je vois la raison pour laquelle elles existent. La raison
qui me fait les admirer. J’admire mes mains. J’admire
les mains. Des mains. J’admirais celles de Franz. Belles
mains. Combien belles. Si Franz n’était que mains je l’adorerais
encore comme je t’ai adoré. Doigts ongles veines
peau pores lignes paumes larges chaudes accueillantes la
pilosité adéquate pour accentuer la rugosité la vigueur
qui transforme ces mains en organes irremplaçables pour
la plénitude de la passion la perfection de la jouissance.
Le toucher de ces mains. L’attouchement du toucher de
ces mains.J’ai adoré tes mains.Je les tenais dans les miennes
je les regardais je les tournais et retournais comme - rien
qui leur soit comparable aucune image aussi forte qui me
vienne à l’esprit. Je les admirais pour leur perfection leur
virilité. Je regarde à présent les miennes. Elles gardent
encore la chaleur de ces mains la force protectrice qu’elles
me communiquaient. C’est pourquoi je les regarde si souvent.
Comme si je regardais tes mains. Ce que je crois. Je
crois beaucoup de choses depuis que Franz tu ne vis plus.
Mes mains pourtant sont ici avec moi. Je les regarde et je
pense. Je pense à ce que je n’ai pas fait moi que les autres
ont fait. // Franz * Si imparfait que soit un homme quand
il donne ce qu’il donne c’est beaucoup pour un autre
homme. C’est beaucoup quand celui-là prend ce qu’il
veut. * C’est beaucoup ce que donne l’homme quand un
homme qui le veut le prend. * Un homme est beaucoup
pour un homme. * Rien n’existe pour l’homme qui surpasse
un homme. * Rien plus qu’un homme ne comble
l’homme. Et quand il donne il est dieu pour celui qui
prend. Il n’existe pas de dieu qui donne comme l’homme.
Seul l’homme donne. Ce qu’un homme peut donner est
ce qu’un homme peut prendre. Il peut donner beaucoup
et il peut prendre beaucoup. C’est là l’insurpassable. Il
n’existe rien qui le surpasse.
« Insenso
C’est un texte fulgurant, un long souffle de passion dévorante, où celle qui aime se perd pour devenir l’objet aimé. Elle, l’amante italienne, républicaine dans une Italie à l’aube de son indépendance face à l’Autriche, veut devenir l’Autre, le beau lieutenant autrichien. Les deux amants, les deux pays, double trahison aussi, celle de l’amour, celle de la patrie.
A travers une langue dépouillée et parfois crue, on assiste à une variation infiniment poétique sur la dépendance amoureuse, sur le souffle brûlant du désir, l’adoration du corps et la défaite de la passion. »
[Christine Gagnieux]
« Je suis la comtesse Livia Serpieri. J’ai dénoncé mon amant le sous-officier Franz Mahler comme déserteur de l’armée autrichienne. Arrêté, son exécution immédiate a été ordonnée. J’ai entendu la salve. J’ai poussé un grand cri et je me suis perdue en larmes dans la nuit de Vérone.
Passé cet aveu, plus aucun événement ne se produit dans Insenso, pièce de théâtre qui reprend l’intrigue de Senso, chef d’œuvre de Luchino Visconti. (…)
Pourtant le personnage de la comtesse se dédouble rapidement, Livia Serpieri et Franz Mahler s’incarnant dans un seul acteur, un être schizophrène dont les propos sont de plus en plus délirants…
Inspirée aussi par le cinéma, Stroheim est une pièce qui mêle à la réalité biographique des éléments de fiction surnaturelle.
Alors qu’il est sur le point de mourir, Erich von Stroheim vit retiré avec sa dernière compagne, l’actrice Denise Vernac. Un soir, ils reçoivent la visite de Norma Desmond, héroïne du film Sunset Boulevard de Billy Wilder dans lequel a joué Erich von Stroheim. Si cette étrange créature peut être perçue, au moins au début, comme une incarnation bergmanienne de la Mort, elle devient peu à peu l’expression d’une conscience qui hante un homme et le confronte à son passé. Le doute qui taraude l’esprit du personnage fait pendant au cancer qui ronge son corps.
De Hollywood, où il a connu la gloire, à Maurepas, où il a cherché l’oubli, Eric von Stroheim revisite son parcours terrestre une dernière fois pendant que Norma Desmond se perd en conjectures sur la frontière entre l’acteur et l’homme. Denise plaide pour une conception de l’œuvre qui transcende l’existence mais Erich semble surtout préoccupé par sa propre postérité… »
[Alexandre Drier de Laforte, Centre national du livre, juin- juillet 2010]
« Insenso est un texte court, dense, un monologue dramatique où la parole est portée par le souffle du personnage traversant le temps et l’espace presque d’un seul trait, une flèche du début à la fin. (…)
dans ce temps suspendu, la pièce commence, à l’intersection d’une double trahison, celle de l’amour, celle de la patrie, dont Livia Serpieri devient l’intercepteur ; mais où la trahison doit aussi s’entendre dans le sens de la révélation. »
[Extrait de la préface de Constantin Bobas et Robert Davreu, France Culture, 25 avril 2010]
Mise en onde de Insenso sur France Culture avec Adeline Guillot et Pierric Plathier, musique de François Marillier , dans une réalisation d’Alexandre Plank, le 25 avril 2010.
Dans le cadre du festival Théâtre au jardin, lecture par Christine Gagnieux, lors des Théâtre au jardin (compagnie Ekphrasis).
Lecture dirigée par Agathe Alexis, Théâtre de l’Atalante (Paris), 26 mai 2013.
Mise en onde de Stroheim sur France Cultureavec Michel Baumann, Dominique Valadié, et Jany Gastaldi, dans une réalisation de François Christophe, le 25 avril 2010.
Sélection de Stroheim par le Festival de l’art et du théâtre radiophoniques et diffusion de la mise en onde de France culture, Maison de la poésie à Paris, le 25 septembre 2010.
Lecture dirigée par Alain Barsacq, Théâtre de l’Atalante (Paris), 26 mai 2013.