Éditions Espaces 34

Théâtre traduction

Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale

Mémoire des fosses ardéatines Radio clandestine

Extrait, p. 11-12

Je dis à la toute petite...
... si vous voulez moi je vais vous la raconter cette histoire. Peut-être que je peux commencer par vous la raconter brièvement, en une minute. Puis, si vous avez un peu de temps, je vous dis aussi la version longue, celle qui dure une semaine.

Racontée brièvement, l’histoire est plus ou moins celle-ci :
Le 23 mars 1944, à quatre heures de l’après-midi, une bombe posée par les partisans romains explose via Rasella, à Rome. Le lendemain, en représailles, les Allemands tuent 335 personnes. Cet événement est connu sous le nom de massacre des Fosses Ardéatines. Point.
Fin de l’histoire.

Vous voyez que si je la raconte de cette manière l’histoire dure une minute ? Peut-être même moins, elle dure peut-être dix secondes. Mais si quelqu’un devait la raconter en détail, cette histoire durerait une semaine.

Si vous voulez -je dis à la toute petite- je la connais par cœur moi cette histoire et je peux vous la raconter moi-même. Et puis vous, du temps, vous en avez beaucoup, vu que tous les jours vous restez là à vous morfondre devant ces panneaux !
Elle dit : « Mais je suis bien obligée, je cherche une maison ! Une maison à louer.  »
Je dis : « Ben, si vous cherchez une maison et que vous avez du temps à perdre, vous pouvez bien rester pour écouter mon histoire. C’est l’histoire des 23 et 24 mars 1944. Mais pour la raconter du début je dis qu’il faut la commencer avant. Avant 1944. Il faut la commencer avant la fin du 19e siècle, à l’époque où Rome devient Roma capitale.  »

Je dis à la toute petite que...
... à l’époque où Rome devient Roma capitale, tout le monde vient à Rome. Ceux qui auparavant étaient à Turin par exemple, parce que Turin, c’était l’ancienne capitale. Mais quand plus tard on a déplacé la capitale de Turin à Florence, les gens qui étaient à Turin et travaillaient dans les ministères, dans les bureaux de la fonction publique de l’état ou dans ceux qui lui sont associés, ces gens, ils sont tous partis travailler dans les bureaux à Florence. Puis quand on a emmené la capitale à Rome... tous ces gens de Turin et de Florence ils sont partis travailler là-bas. C’étaient tous des employés qui travaillaient dans les ministères et alors à Rome il a fallu construire ces bâtiments très importants. Construire les ministères et aussi construire les maisons pour ceux qui allaient y travailler, parce que les Turinois fraîchement arrivés dans la nouvelle capitale ne pouvaient quand même pas rentrer dormir à Turin ! Il fallait les construire ces maisons et pour les construire il fallait des ouvriers. C’est comme ça que sont arrivés des gens du Sud : de la Campanie, de la Sicile, de la Sardaigne, de la Basilicate, des Pouilles, du Molise. Tous ces gens qui viennent à Rome et qui se mettent à construire des choses, des maisons, des routes, des immeubles et des places. Tous ces gens qui deviennent charpentiers, peintres en bâtiment, maçons, carreleurs.

Et puis pour construire les routes, les maisons, les églises, il faut le matériau de construction. Alors autour de Rome on creuse 170 carrières et plus de 3 000 personnes y travaillent. Tous ces gens qui travaillaient sous terre pour construire cette belle ville de Rome qui s’élève peu à peu.
Beaucoup de gens viennent à Rome des Castelli romani. Ils arrivent de villages comme Frascati, Grottaferrata, Marino, Genzano, Velletri, parce qu’à cette époque-là, à la fin du dix-neuvième siècle, aux Castelli romani, c’étaient vraiment des barbares... C’étaient tous des journaliers ignorants qui ne savaient ni lire ni écrire. On raconte que même Sa Sainteté le Pape, un beau jour, avec son carrosse, ses chevaux et ses plumets, prend le chemin des Castelli romani. On dit qu’il arrive ainsi jusqu’à Genzano et que tous les gens sont sur la place du village. Lui, bien sà»r, il pense qu’on fête son arrivée mais il se rend vite compte qu’ils ont pris leurs bêches et leurs pioches, et qu’ils crachent, et qu’ils jurent.

Extraits de presse

« ... Ce petit livre est une pure merveille. On peut le lire confortablement assis sur son fauteuil et le plaisir sera également au rendez-vous. Dans tous les cas, que ce soit lu ou écouté, dans le contexte actuel c’est un texte important et courageux.

(...) Ce n’est nullement un texte historique, ni un document ni un essai. Dans ce récit Asciano Celestini parle aussi d’autres choses. En bavardant avec la « toute petite  » il raconte des souvenirs d’enfance, de l’enfance de son père, l’arrivée des paysans dans la capitale au début du siècle dernier et puis àpartir des années 20 la progressive modification sociale du centre de la ville. Les pauvres étaient chassés en banlieue et les riches prenaient possession des quartiers du centre historique.
Les Fosses Ardéatines restent quand même le sujet principal. (...)

C’est làque le récit de Celestini montre toute sa puissance. En bavardant avec « la bassetta  » il arrive àrecréer l’atmosphère de terreur qui étranglait la ville sous la botte des Allemands. Et il démonte pièce par pièce tous les raisonnements révisionnistes qui tendent àdédouaner les soldats coupables de cet acte ignoble ainsi que la hiérarchie militaire allemande de leurs responsabilités.  »

[Stefano Palombari, Italie àParis, février 2009]


« L’insolite et le poétique président àce récit que cette rencontre [celle avec la toute petite] relance avec humour (…)
Par le rappel précis des termes, des temps employés dans les communiqués de l’occupant allemand, c’est la critique des faits tels qu’ils ont été, et sont encore, officiellement transmis, avec les liens entre fascistes italiens et nazis. C’est une approche non officielle mais fondée sur les faits. A sa manière, avec en étai la vie d’un individu ordinaire, en l’occurrence un chiffonnier, Ascanio Celestini évoque les Juifs d’Italie, leur condition sous le fascisme, les lois et les décrets que légalisèrent les persécutions dont leur soustraction des registres officiels (et, donc, leur mort sans trace), mais aussi le comportement des autres Italiens (par exemple, ceux qui alors pistèrent les Juifs d’après les annuaires et les dénoncèrent).
Les questions de la haine relancent le récit, puis le complètent car, plus âgée, elle a aussi sa mémoire des faits, celle du « petit peuple  » italien, dont la plupart des membres ne disposaient pas des moyens pour décoder, critiquer.
En utilisant, théâtralement, le fait qu’elle soit incapable de lire et d’écrire, Ascanio Celestini, qui dit sa dette àdes livres d’historiens, dont L’ordine è giàstato eseguito (L’ordre a déjàété exécuté) de Alessandro Portelli, rappelle l’importance de la maîtrise des mots, politiques et philosophiques.  »
[Micheline Servin, Les Temps Modernes, janvier-mars 2010, n° 657]


« Plus de soixante ans après le massacre des fosses ardéatines, Ascanio Celestini ne dénonce pas un révisionnisme idéologique, mais rampant, lié àla méconnaissance, àl’inculture, àl’enseignement délaissé de l’histoire.  »
[Christophe Gayraud, Midi-Libre, 26 février 2010]


« Il y a ce texte d’Ascanio Celestini, bâti comme un conte qui narre les bons et mauvais sentiments des Italiens ordinaires, l’histoire de l’édification de la capitale Rome àla fin du 19e jusqu’àl’aboutissement cruel : le massacre de 335 civils dans les fosses ardéatines àRome, par une colonne SS, en représailles àun attentat attribué àla Résistance.

Et pendant une heure et quart, le formidable comédien Richard Mitou tient son public àfleur d’émotion, le déride avec son témoin imaginaire, cette improbable « toute petite  » bonne femme, analphabète qui n’a qu’une idée en tête, trouver un 35 m2 au cœur de Rome.

Epique récit et passions d’un côté, préoccupation terre àterre de l’autre, avec cet ennemi invisible, l’ignorance et « l’inculture  », un résumé en quelque sorte de toutes les ignominies perpétrées dans le monde.  »
[A.K., L’indépendant, 26.02.10]


« Il est rare que tous les ingrédients nécessaires àune belle pièce soient réunis en même temps. Radio Clandestine nous a fait vivre ce moment de grâce mercredi, au théâtre d’Ô, dans le cadre du Printemps des comédiens.
Dans ce lieu intimiste, particulièrement bien adapté, Richard Mitou a magnifiquement fait entendre le texte émouvant, puissant et drôle d’Ascanio Celestini.  »
[Mireille Picard, Midi Libre, 23.06.11]


« Gager sur la puissance des mots, réaliser que dans « entendre  » il y a aussi « voir  » et se dire que le théâtre peut être un vecteur pertinent de la mémoire collective : voici une des leçons àretenir de la pièce Radio clandestine mise en scène par Dag Jeanneret.
Le texte d’Ascanio Celestini est remarquable : il happe l’attention du spectateur car son verbe sollicite notre raison tout autant que nos émotions.

(…) Richard Mitou joue un personnage protéiforme, tout autant patriote touché par le drame qu’il raconte, narrateur érudit dont le discours extrêmement documenté nous donne un cours d’Histoire passionnant, que vieille dame illettrée dont le destin a été malmené par les évènements historiques. Il embrasse ces rôles avec naturel et justesse, accompagné par la clarinette de Gérald Chevillon.  »
[BSC news, 23 juin 2011]


« Ainsi ce n’est plus le strict récit de l’événement, ni l’émulsion émotive et éphémère sur laquelle se fonde le commerce des gazettes qui retient l’attention. Mais l’invisible mémoire des gens simples. La partie orale de l’histoire que l’on découvre dans un théâtre sans revers de manche. Un théâtre qui sortirait du spectacle pour venir taper sur votre épaule. Alors voilà, dirait-il : j’aimerais vous raconter quelque chose mais il faut que vous m’écoutiez un peu mieux.

(…) Dag Jeanneret signe une mise en scène dont la sobriété n’a d’égal que l’efficacité. Une élégante manière de s’émanciper du conflit dépassé qui occupe les esprits àchercher une hiérarchie entre la force d’un texte et celle d’une mise en scène. En pensant autrement le processus de création et en œuvrant pour un théâtre politique dépoussiéré, créatif, porteur d’espérance dans la capacité qu’il déploie àmodifier notre regard et àtrouver du sens.  »
[Jean-Marie Dinh, L’Hérault du Jour, 27 juin 2011]


« Texte émouvant, puissant et drôle d’Ascanio Celestini.  »
[Mireille Picard, Midi Libre, 23 juin 2011]


« (…) forme qui fait confiance àla parole, celle vivante que l’on trouve déjàdans les monologues pleins de verve de Dario Fo, la parole fragile que le temps, l’oubli ou le mensonge ont attaquée, reniée. Radio clandestine se chauffe àcette parole-là, comme en atteste d’ailleurs son sous-titre : « Mémoires des fosses ardéatines  ».

L’œuvre raconte « une drôle d’histoire  », une histoire que « personne ne veut entendre  », que tout le monde croit connaître et résumerait en une minute, mais qu’on pourrait aussi bien narrer en une semaine. C’est en effet l’histoire d’un épisode sanglant de la Deuxième Guerre mondiale, mais c’est, en même temps, l’histoire de Rome durant plus d’un siècle. Et il ne s’agit pas d’un fait seulement, mais de la mémoire que l’on en a gardé.

(…) Si le récit est si vivant, c’est encore parce qu’il se joue de nous. Il nous berce de ses refrains, nous charme en exhibant sa matière et puis, tout àcoup, il nous révèle une surprise. Changement de couleur, changement de signification de ce que l’on croyait avoir compris, changement de cap.
Un des talents de Richard Mitou, le comédien en scène, est de nous faire entendre cela. Il n’interprète pas un personnage, mais il donne corps au récit. Sa voix comme ses quelques gestes font surgir ici un dictateur et làune femme de victime, ici les fosses ardéatines et là, un quartier populaire de Rome dans sa nuit.

Exécutant comme une partition, il dialogue alors avec le musicien Gérard Chevillon, dont les interventions ne se réduisent ni àla ponctuation ni àl’illustration. Car, quand ce dernier, si discret et si présent àla fois, égrène les notes de son saxophone ou de sa clarinette, c’est toujours pour ajouter du sens, apporter une nuance. Quelques notes de clarinette suffisent, par exemple, ànous faire humer la nostalgie des temps heureux.  »

[Laura Plas, Les Trois Coups, 9 novembre 2011]


« On retrouvera ici avec grand bonheur l’humour pince-sans-rire et extrêmement décapant, voire sauvage, de l’auteur, entre autres, de « Lutte des classes  » (2009), s’appuyant sur cet « Oradour-sur-Glane italien  » – dont le cadre supporterait vraisemblablement aisément d’être intégré àla terrifiante série photographique du tourisme du désastre de Patrick Imbert, comme « Week-end àOswiecim  » (2011) et « Week-end àPripiat  » (2012) -, pour proposer àla fois une narration de la Rome populaire des années 1930 et 1940, et de la manière dont elle s’accommoda du fascisme, et une vertigineuse lecture du révisionnisme historique perpétuellement colporté par des intérêts orientés et par des médias aux ordres, tout particulièrement dans la fièvre anticommuniste de l’après-guerre. (…)

C’est en confiant àson narrateur, debout et droit, ces faux monologues àla fois épiques et pédagogiques, en réponse aux questions apparemment naïves – ou même hors « sujet  » – d’une petite vieille dame rencontrée dans la rue, qu’Ascanio Celestini opère son mouvement théâtral analytique : chanter aussi bien les héroïsmes que les compromissions d’époque, l’exaltation comme les renoncements, puis rassembler ses forces, car la réécriture rôde très vite. (…)

Cette réécriture ponctuelle, riche de veuleries et de sous-entendus, Ascanio Celestini la relie toutefois àun système beaucoup plus cohérent qu’il n’y paraît, celui d’une confiscation constante de l’espace, du temps et de la parole, qui est précisément ce contre quoi s’élève encore aujourd’hui, plus déterminé que jamais, le théâtre narratif de son maître Dario Fo et le sien. (…)  »

[Charybde2, blog, 18 mai 2016]

Le texte àl’étranger

La pièce en italien, publiée en 2005 chez Donzelli, est régulièrement jouée par son auteur en Italie depuis.

Vie du texte

Lecture dirigée par Luc Sabot avec Alex Selmane, Comédie du livre, juin 2007.

Lecture àl’Odéon-Théâtre de l’Europe par Serge Maggiani, dans le cadre du programme FACE àFACE - Paroles d’Italie pour les scènes de France (coproduction : ETI, Institut culturel italien de Paris et Odéon - Théâtre de l’Europe), le 26 janvier 2009.

Chantier-spectacle dirigé par Dag Jeanneret, compagnie In Situ, avec Richard Mitou et Gérald Chevillon (musique), àSortie Ouest (34), du 26 février au 2 mars 2010.

Diffusion sur France Culture, Fictions / Théâtre et Cie, dans une mise en onde de Michel Sidoroff, avec Serge Maggiani, le 27 juin 2010.

Création àSortie Ouest, Béziers, dans une mise en scène de Dag Jeanneret, avec Richard Mitou et Gérald Chevillon (musique), du 25 au 29 novembre 2010.*

Tournée de création 2010-2011 :
— Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry, du 14 au 16 décembre 2010
— Théâtre Albarède, Ganges (34), 19 mars 2011
— Le Cratère, Scène nationale d’Alès (30), du 5 au 7 avril 2011
— Théâtre de Villeneuve les Maguelonne (34), 15 avril 2011
— ATP Aude, Cornèze (11), 22 avril 2011
— Printemps des comédiens, Montpellier (34), 20, 22 et 23 juin 2011
— L’Estive, scène nationale de Foix et de l’Ariège, du 18 au 22 octobre 2011
— Théâtre Victor Hugo, Bagneux, le 4 novembre 2011
— Domaine d’O, Montpellier, 17 et 18 novembre 2011.

Lecture, lors de la 11è édition des « Traversées  », proposé par le Théâtre Toujours àl’Horizon, par et avec Eric Chaussebourg et Fabienne Augié, La Rochelle, le 24 septembre 2011.

Tournée de création 2012 :
— Théâtre du Passage Neuchâtel (Suisse), 24 janvier 2012
— Scène nationale d’Albi, 3 février 2012
— Circuits/ Auch, 5 et 6 février 2012
— Théâtre de Vienne, 28 et 29 février 2012
— ATP d’Uzès, 2 mars 2012
— Théâtre de Nîmes, 6 et 7 mars 2012
— Théâtre Vidy àLausanne, du 20 mars au 5 avril 2012.

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