Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
PREMIER ACTE
SCÈNE I, p. 9 à 11
Quelque part en Iowa. Deux Indiens de tribus différentes, Kajuga et Kiko, sont assis près d’un feu de bois. On entend le chant des grillons. Plus loin, un wigwam.
KIKO, hume l’air. - Je crois que les bisons ne paissent pas loin.
KAJUGA, humant l’air à son tour, secoue la tête. - Non. C’est juste ma cigarette.
KIKO, après un silence. - Tu fumes quoi ?
KAJUGA. - De l’herbe.
KIKO. - Ici tout le monde fume de l’herbe. Déjà bien avant Christophe Colomb, tout le monde en fumait. Moi aussi je fume de l’herbe mais la mienne ne sent pas le bison.
KAJUGA, expire la fumée bruyamment. - C’est vrai, la mienne est spéciale. Elle s’appelle « trèfle ».
KIKO. - C’est ce que je te dis : l’herbe de maïs ne sent pas comme ça.
KAJUGA. - Quelle merde. C’est du pop-corn, putain.
KIKO. - Tu n’as pas à te plaindre, tu es un Indien riche. Tu peux t’acheter de la bonne herbe et une femme blanche.
KAJUGA. - Ouais, dès que j’en ai envie.
KIKO, jaloux. - Tu en as envie souvent, hein ?
KAJUGA. - À vrai dire, pas aussi souvent que je le voudrais. Quand tu peux en avoir envie n’importe quand, tu n’en as presque plus envie. À moins que - tout à coup - l’envie te prenne.
KIKO. - Moi l’envie me prend toujours progressivement : je regarde la télé, par exemple, et tout doucement, comme ça, je commence à avoir envie.
KAJUGA. - Et tu as envie de quoi, le plus souvent ?
KIKO. - Le plus souvent, j’ai envie de dormir.
KAJUGA. - Tu n’as pas envie d’une femme blanche ? D’habitude, tous les Peaux-Rouges ont envie d’une femme blanche.
KIKO. - Pas moi. Tu sais quel métier j’exerce. À longueur de journée, je vérifie la fiabilité de crédits banquiers. Alors les femmes, j’en ai envie très rarement. Et il y a l’âge aussi. À vrai dire, j’ai des problèmes de prostate...
KAJUGA. - Le premier remède pour la prostate, c’est de baiser le plus souvent possible. Et de boire moins de coca. De la bière, c’est beaucoup mieux. Parce que le coca ne fait que s’accumuler dans la prostate : il s’accumule, s’accumule, jusqu’à ce que ta prostate t’arrive aux genoux. Alors tu te promènes comme ça, avec ta prostate qui se balance partout, un vrai babouin. C’est même pire que les hémorroïdes.
KIKO. - Je sais, j’ai aussi des hémorroïdes... Au boulot, je suis tout le temps assis.
KAJUGA. - Ouais, c’est pas de veine... Alors change, ne reste pas assis.
KIKO. - C’est que je ne peux pas, on m’oblige. De huit heures à cinq heures. Assis.
KAJUGA. - Eh bien... dès que tu as terminé ton travail, file le plus vite possible.
KIKO. - Mais filer où ? C’est la réserve ici...
KAJUGA. - Comment ça, filer où : mais comme tout le monde, aller boire des bières et baiser.
La réserve (Rezervatas), écrite en 2003, a été jouée au Klaipeda Drama Theater, dirigé par A. Giniotis, en 2004.
Elle a été publiée en Lituanie en 2007 dans un volume de quatre pièces intitulé The Girl, who scared the Good (Rasytojusagungos leidykla).
La réserve a fait l’objet d’une lecture en français le 17 juillet 2004 lors du festival d’Avignon.
Lecture par le Panta théâtre et rencontre avec l’auteur dans le cadre des Boréales, plate-forme de création nordique proposée par le Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie, le 15 novembre 2010.
Création par la compagnie Conduite Intérieure, dans une mise en scène de Christian Chessa, avec des comédiens professionnels de la compagnie et des pratiquants amateurs, dans la région de Nîmes, en avril-mai 2012.