Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

 1 Entrée

Entre
C’est fini

En silence.
La paroi coulissante s’est refermée.

Dans le silence.
Dans le corps du silence.
La pièce est vide.

À l’intérieur du silence.
Au-dedans.
Il n’y a rien.

Le corps du silence.
L’apparence de ta destination.

Ne dis rien.

Face à face avec l’endroit.
Jauge les forces, les tiennes, celles de la pièce.
Ne dis rien de ce que tu pressens. N’écris rien.
Laisse venir.

Quatre murs.
Un plafond de néons.
Un sol de paille.
Derrière toi, les chemins qui t’ont conduit ont disparu.
J’ai laissé mon enfant, mon amour,
Tout ce qui me retient au monde je l’ai laissé.

La paille du sol.
Le néon comme seule lumière.
Dans un coin le drap d’une couche fine.
Le vide de la chambre est un vide qui ne dit rien.

Je l’ai attendu. Je l’ai craint.

Un miroir sans cadre plaqué à mi-hauteur.
Reflets, parcelles de chair.
Je vois.
Mon visage incomplet dans la glace.

C’est là.

La pièce, sans apparat.
Sans volonté.
Nudité des murs.
D’une couleur qui ne veut rien dire.
Qui ne signifie rien.

La pièce t’offre le vide.
L’air contenu entre ses murs.
L’espace qu’elle recèle.
Cette chair qui est à naître.
Et l’odeur de paille.
Rien d’autre.

Le point de départ est là.

Tu es dedans.
La fin, le commencement d’un monde.
À l’intervalle entre les deux.
Personne ne sait où tu es.
Dans le corps du silence.
Personne ne sait l’endroit.
Ni les chemins empruntés pour y parvenir.
Personne.

Tout ce qui me retient au monde, je l’ai laissé.

J’ai dû attendre ce moment.
J’ai dû l’attendre.
Le redouter.
Redouter cette chambre-là,
Cette absence de discours.
Ces angles dévoilés, cette odeur de paille.
Cette nudité.

Je l’ai frôlé parfois.

Le silence de la pièce nourrit le mien.
Je sens l’odeur de paille.
C’est là, déjà.

Je m’assois sur le sol.

Pas de retour en arrière je le sais.
Je pense à toi.

Les pensées se défont de moi.
Se dissolvent dans l’espace les questions suspendues.
Les mots se tarissent lentement jusqu’à la source.

Assis.
Immobile.
Jusqu’au sommeil.
Le corps du silence respire.
Des nuits entières.

 1.1 Description écrite du sommeil

Ailleurs un enfant est debout.
Seul, à la lisière d’un cercle.
À la frontière.
Un cercle de paille tracé sur une terre d’argile.
Un enfant. Presque nu. La chair en offrande.
Il passe dans le temps.
Au point incandescent de sa solitude.
Accordé au réel, il en suit les courbes, il respire avec le temps, avec l’espace sur lequel il se tient.
La plaine immense et vide.
La page blanche de la plaine où le cercle a été dessiné.
Au-dessus, de grands oiseaux tournoient.
Ils décrivent dans le ciel d’autres cercles.
L’enfant est immobile.
Il attend. Une autre chair. La tienne.
Patience. Le temps ne passe pas.
L’enfant est muet, il règne sur le cercle, sur la terre craquelée qui l’entoure.
Seigneur de rien. Seigneur d’un vide.
Le temps ne passe pas.
C’est l’enfant, le cercle de paille et sa terre qui passent, silencieux, dans le temps.

 2 Vide volontaire

Le souvenir de l’entrée, du commencement s’est éteint.

La pièce passe dans le temps.
J’assiste à cela.
Passager de la pièce.
Passager d’un corps du silence.

Où que je regarde, il n’y a qu’un vide.
Rien ne s’est transformé, ni ouvert.
Le drap de la couche disparu derrière les parois coulissantes.
Je ne vois pas au-delà.
Assis, j’assiste au passage de la pièce dans le temps.

L’âpreté du silence entame légèrement la peau.
Je me lave dans la pièce d’eau attenante.
Le bruit de l’écoulement me rassure.
Le bruit de l’eau, comme un langage
Une voix, à côté de la mienne, éteinte.
Je n’ai pas prononcé un mot depuis plusieurs jours.

À ton silence pendant que nous faisons l’amour

Où que je regarde, il n’y a qu’un vide.

Des étendues immenses des villes des quais des halls d’aéroports

La pièce ne donne aucun indice.
Aucune direction.
Elle n’offre rien.
Elle ne renvoie rien.

À cette pensée que tu savais logée en moi, et avant même que je ne te dise déjà tu te tenais au plus près de la plaie et tu posais ta main dessus

Tout ce qui me retient au monde, je l’ai laissé.
Maintenant seul.
Sans guide.

Nous marchions à la lisière du gouffre et nos mains se tenaient
Des morceaux de peau enlevés sous l’effet de la peur
La distance accrue par la fatigue de l’amour
Mais toujours nos mains se sont tenues

J’ai attendu cela.
Je l’ai craint.

Nous tenons la main de ce qui va mourir
C’est toujours ce qui va mourir que nous tenons dans notre main
Nos mains savaient cela, mais elles se serraient au-delà

L’ignorance de la chambre est belle parce qu’elle ne sait rien de la beauté.
Ni du temps.
Ni de l’inquiétude.
Ni de la pensée.

À ce nom de couleur que tu m’as donné
Aux cercles de nos bras contenant l’autre, le protégeant
Aux refuges de ta poitrine

J’aimerais être ignorant. Et pauvre.
Qu’ai-je déposé au sol.
Rien.
L’inquiétude n’était qu’endormie.
Elle se réveille.

À ta bouche sur ma nuque tes dents coupant net le fil de l’angoisse
À la jouissance ensemble

La perfection des angles te renvoie la maladresse de ta présence.
Tout geste paraît de trop.

À tout ce que j’ai saccagé en toi qui empêchait tes floraisons
Aux engueulades corrigées dans la nuit qui a suivi

Je suis seul.
Il n’y a personne.

À nos solitudes parallèles qui se rejoignent en une seule ligne

Ce combat. À mener. À dire. À traverser.

J’ai vu l’abîme et seule ta main me retenait
Tu as vu l’abîme et seule ma main te retenait

Je prends des notes.
Chaque feuille, une fois écrite, doit lutter pour exister dans cet espace.
Aucun mot, aucune réflexion, aussi intelligente soit-elle, ne tient.
Chaque feuille finit au trou, dans le sac plastique.
La pièce paraît riposter à chaque tentative.
Tu me disais souvent « Apprends à voir ».

Nous jouions en équilibre au bord de l’abîme des jours
Le corps appelé par le vide mais retenu par le contrepoids de l’autre

Tu es seul.
Tout ce que tu as écrit avant ne t’est d’aucun secours.
Tu habites une page blanche.
Tu le deviens.

Aux départs innombrables
Aux retrouvailles innombrables

Une lutte par le moins est en train de s’engager je suis des deux côtés.

Au récit des pires rêves que tu m’as fait
Au récit des pires rêves que je t’ai fait
À nos nudités du matin

Peu à peu, aucun mot ne paraît être à même de dire cet endroit
Je suis incapable de dire où je suis.

À mes ongles dessinant sur ton dos les chemins de ton sommeil
À mon poignet retenu par toi chaque fois que j’ai voulu fuir

Respiration moins ample.
Comme si la pièce appuyait sur ma peau.
En permanence.
Serrer le fruit pour en recueillir le jus.
Contractions avant de mettre bas.

À la dissolution de mon corps dans ta bouche

Les mots s’éloignent.
Je renonce à décrire ce que je ne comprends pas.
À la place, je dessine maladroitement quelques silhouettes.
Quelques visages.
Celui de l’enfant.
Le tien.

À la direction que je ne t’ai pas montrée parce que je la cherchais moi-même

Murs monochromes.
Bruit de l’eau.
Odeur de paille.

Aux semaines de grâce éclairées par la lumière des corps

Il ne reste sur la feuille que des lignes droites et des cercles.
Des lignes droites.
Des cercles.

J’aurais tellement voulu poser ma main sur ton front et ne rien dire

J’abandonne mon carnet de notes dans le sac plastique.
Je deviens peu à peu improductif.

À ce qui fait mourir un amour
À ce qui fait qu’il brûle plus loin que l’absence

Je m’efforce de faire le vide.
Faire le vide comme on dit « Faire l’amour ».
Je pense à toi.

Aux pressentiments des départs que l’on n’écoute jamais

« Faire le vide. »

À ton visage devant mes yeux

« Faire l’amour. »

Et je ne savais pas à ce moment que ce serait la dernière

« Faire le mort. »

Aux traces laissées sur la peau

Toute action volontaire est vouée à l’échec.
La pièce est un paysage brut d’inconnaissance.

À ce silence auquel aucun mot ne répond

Je te vois debout devant moi, les paumes ouvertes et je sais que c’est impossible.
Tu es droit, nu. L’évidence se fait peu à peu et ouvre mon souffle. Je suis parti de toi. Je suis parti, je vois mon amour debout les paumes ouvertes. Tu t’effaces peu à peu, j’ai cru entendre ta voix l’espace d’un instant j’ai cru l’entendre.

À nos disparitions

Je suis le passager, la main posée sur la crinière de paille du cheval immobile qui me conduit au vide.

(...)

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