Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.
Personnages
La juge d’instruction
La mère
Le petit spationaute
Le vieux médecin légiste
Les témoins
Les morts et les mortes
Chœur
De l’autre côté du trou noir
5
C’était un appartement banal, d’environ trente mètres carrés, avec cette odeur de renfermé sur les murs. Le soir, elle regardait depuis la fenêtre de la chambre de l’enfant. La chaleur dans les immeubles de béton gris, les fumées, les odeurs du local à ordure, l’angoisse de la fin du monde, lui serraient la gorge. Elle prenait son enfant dans ses bras, allumait la petite veilleuse et lui racontait l’histoire d’un peuple de géants. « C’était un peuple de géants qui vivait dans un pays innocent sur une planète de forêts épaisses et profondes ». Elle racontait nuit après nuit les aventures de ce peuple. L’enfant ne voulait plus quitter sa combinaison de spationaute, dormait et se levait avec. Elle lui racontait l’histoire de ce peuple qui avait su se délivrer de la guerre et de la cruauté, de la mort et de la destruction. Le petit garçon réclamait la suite. L’histoire se perdait dans des méandres infinis avec de longs voyages à travers des forêts pleines de lumières et de chants d’oiseaux ou le long des côtes près d’une mer bleue. Ils entendaient dehors les bruits de la rue, les sirènes de police, le trafic, les voix, les motos, la foule mystérieuse descendre vers la nuit et une autre foule prendre le relai, une autre ville apparaître dans les ombres et les impasses. Le petit spationaute finissait par s’endormir et c’est comme s’il n’existait plus que lui et sa mère dans le monde.
Autopsie
3
– Tu es qui toi d’abord ?
– Le médecin légiste.
– Qu’est-ce que tu vas faire ?
– Ton autopsie.
– C’est quoi autopsie ?
– J’incise. J’ouvre. Je regarde à l’intérieur de ton corps.
– Pourquoi est-ce que tu as besoin de regarder à l’intérieur de mon corps ?
– Pour répondre à différentes questions.
– Ne me touche pas.
– Allonge-toi s’il te plaît.
– Laisse-moi tranquille.
– C’est ma dernière autopsie. J’aimerais qu’elle se passe bien. Vite. Ne pas me faire emmerder. Déshabille-toi s’il te plaît.
– Sale pervers.
– Je ne suis pas un pervers. Et toi tu n’es pas un enfant. Tu es de la matière morte, inanimée, de la viande froide.
– Je suis un spationaute.
– Tais-toi s’il te plaît. Je prends ma retraite ce soir. Allez, fous-moi la paix.
7
Je retourne sur les lieux le lendemain de la mort de l’enfant. Seule. C’est le matin. Je prends l’ascenseur jusqu’au 8ème étage. Je défais les scellés et j’entre dans l’appartement. Tout est calme. Comme dans un sanctuaire. Je regarde par la grande fenêtre du salon, celle par laquelle elle a jeté son fils, l’horizon des immeubles, le stade de foot, la nationale et je me surprends à attendre qu’une porte s’ouvre dans les airs. Il y a une bouteille d’eau qui traîne sur la table, je la prends, je m’approche de la fenêtre ouverte et je la balance dans le vide. Je reste quelques minutes à écouter la ville dans l’appartement, à me demander ce qu’elle a cru voir, ce qu’elle a pu imaginer et comment. Je finis par redescendre. En bas, dans l’herbe, devant l’immeuble, je ne retrouve pas la bouteille plastique. Je retourne au bureau. Je reçois le premier compte rendu psychiatrique. Pas de psychose avérée. Responsabilité pénale engagée. La journée file. Pendant la nuit, je fais un rêve étrange. Je suis chez moi et la femme infanticide entre avec des fleurs dans les mains.
– Est-ce que vous auriez un vase ? Un vase ? Vous auriez un vase ? Je suis venue vous apporter des fleurs. Madame ?
Je n’arrive pas à lui répondre. Je la regarde prendre un vase. Le remplir d’eau au robinet. L’eau est rouge comme du sang. Elle me sourit avec sa figure lumineuse et compréhensive, son déni total de la réalité, ses yeux doux et bienveillants comme ceux d’une putain de nonne. Arrêtez de me regarder comme ça.
– Je vous les mets là.
– Laissez-moi tranquille.
– Vous avez l’air fatigué Madame la juge d’instruction.
– J’ai toujours dans la tête votre enfant mort.
– Il n’est pas mort.
– Vous l’avez défenestré.
– C’est votre obsession. Vous êtes obsessionnelle.
– Vous l’avez pris dans vos bras vivant et jeté du 8ème étage.
– Vous devriez essayer.
– Quoi ?
– De passer de l’autre côté du trou noir Madame. Tout repousse. Tout renaît de l’autre côté. Oh ! Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Votre visage !
– Quoi ?
– Il fond.
Je touche mon visage. J’ai quelque chose qui dégouline. Sur les joues. Dans la bouche. Entre les dents. Quelque chose coule. Visqueux. Liquide. De la chair. C’est de la chair liquide. Ma peau coule. Je me précipite dans la salle de bain. Je me regarde dans le miroir. Mon visage fond. Un nouveau visage prend la place de l’ancien. C’est le visage de l’enfant. Du petit spationaute. Il me regarde avec un sourire et un regard noir.
– Laisse ma mère tranquille vieille folle !
Je me réveille ruisselante de sueur. Dans la cuisine, il y a un bouquet de fleurs dans un vase. Je n’ai aucun souvenir de les avoir achetées la veille.
La forêt
12
– Comment est-ce que tu vas maman ?
– Je vais bien mon chéri. Très bien. Je vais très bien.
– C’est ici alors que tu dors ?
– Oui. Ici. Dans la prison des femmes. Et toi mon amour ?
– Je suis dans la forêt. C’est beaucoup plus grand que ce que j’avais pu imaginer.
– Est-ce que tu manges correctement ?
– Je suis avec un vieux bizarre. Il est gentil. Il me met parfois des couteaux dans le ventre et il regarde dans mes intestins mais c’est pas pour être méchant. C’est un truc qu’il a. Comme pour se rassurer. Il regarde dans les intestins des gens.
– Tu as grandi mon chéri. Quel âge as-tu maintenant ?
– Ça fait une semaine que je suis passé de l’autre côté du trou noir. J’attends que tu viennes. Pourquoi est-ce que tu ne viens pas ?
– Je n’ai pas encore trouvé de combinaison.
– Mais le vieux, lui, il n’en a pas de combinaison. Tu vois, c’est pas grave, tu peux venir sans !
– Ne t’inquiète pas, je finirai par venir, promis.
– Ah, c’est une photo de nous, là. Tu as accroché une photo de nous.
– Oui, c’était l’hiver dernier, dans le parc avec les balançoires.
– Et qu’est-ce que tu fais maman toute la journée dans la prison des femmes ?
– Je regarde nos photos, je sors à la promenade ou aux activités. Je dors. Je dessine sur les murs ou sur les papiers.
– Tu dessines la forêt ?
– Oui, la forêt avec les arbres et je te dessine aussi mon petit spationaute courageux, avec les arbres et les rivières. (…)