Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Trois fois Ulysse

II
DANS LA GROTTE
bleu mélancolie calypso

• les faits

ChÅ“ur. — disons les faits :
Calypso fille d’Atlas. vit dans une grotte (somptueuse) sur une île. Ulysse vient d’échapper à Charybde et Scylla. il dérive neufs jours affamé assoiffé couvert de sel et d’algues en piteux état (comme d’habitude). et puis le canot coule.
Ulysse nage jusqu’à l’île où il s’affale mort ------ quasi. Calypso le remet sur pied et tombe amoureuse ------ folle.

• court vers l’aventure au galop

ChÅ“ur. — CALYPSO (celle qui t’offre de sortir du temps)
par qui tu te laisses porter
sept années presque huit
(tu comptes encore pourtant)

la femme aux longs cheveux d’or
qui te rend invincible
mais aussi invisible

U invisible
quoi quoi
mais où est passée Athéna

oh dodo
dans la grotte tout beau tout chaud
exit HÉCUBE exit Troie
PÉNÉLOPE n’en parlons pas
court vers l’aventure au galop

mais
oùest passé
le héros
pas de héros poème zéro
Athéna cela ne se peut pas
vite
le retour au galop

• comment s’est passée ta journée

Calypso. — tout ce ciel cette mer no border
et moi chaque jour je retiens mes paroles

comment s’est passée ta journée U
(une question dont dépendent tant de choses)

as-tu regardé ma robe
j’ai mis la bleue ce matin
(tu préfères la rouge)

ça sent le cèdre tendre et le genièvre
je n’en peux plus de te voir si triste

le jasmin a fleuri dans la nuit
les reinettes sautillent sur les feuilles humides
(tu me jettes un regard désolé)
tu n’as rien vu tu ne vois
rien de ce que je vois
il y a aussi des ronces des louves des laies des lionnes

ta journée s’est passée de larmes
(et moi tu ne me demandes pas)

• dépression

Ulysse --- mon poème rouge où es-tu
ici méra ti méra (sais par cœur le refrain ------ la scie)
bleu partout
sérénité connaissance vérité stabilité positivité réussite
zéro
azur roi turquoise indigo marine outremer cobalt
mensonge de beauté
mon cœur et la mer sont seuls

tout recroquevillé j’attends d’être gavé du trop-plein de mes larmes dit le poème
je n’ai plus d’yeux
ne me demandez pas de quelle couleur sont ceux de Calypso
bleu abrasif

cèdre tendre et genièvre
sources vignes
beaux cheveux
plaisir
infertile
tu-m’aimes-je-t’aime
romance ciel-mer amour-haine
pitié
tous les adjectifs ------ les poèmes les récits les chants
bleus bleus
ne pas en rajouter

mon poème ta couleur s’est usée
vivre sans durée sans cicatrices
éden d’étoiles sourdes
mer sans risque
homme stérile
temps rayé
marin sans carte
îlien rien
bleu mon blues abrasif

ô matière usante
enlève en frottant
frottement continu
(plus de peau bientôt)
héros surface arasée
ô chirurgie
ô solitude

temps tout perdu
vingt ans ou vingt-neuf siècles
dans le ressac (méra ti méra) une phrase d’Achille "rien ne me vaut la vie" une phrase amoureuse
Achille ce héros 72 Troyens tués de sa main ------- toi tu en as tué 60 de moins
Achille à ma place serait resté

• seulement des femmes

Calypso. — pourtant tout commence avec moi ton début c’est moi chant 1 vers 14 : Calypso le retenait dans son antre profond brûlant d’en faire son époux Calypso divine parmi les déesses le retient aux couloirs de sa grotte
traductions masculines allusions virilement sexuelles
aucune fille ne m’a encore traduite
ni toi U
(...)

Extrait de presse

« Une surprenante réécriture du mythe d’Ulysse du point de vue des femmes qui l’ont côtoyé. Une écriture lyrique et flamboyante. »

[Centre national du livre, février 2024]


« Rencontrer Ulysse c’est se rencontrer soi-même. C’est un spectacle de rituel, un voyage sensoriel. Je n’ai pas un rapport anecdotique à ces mythes, la fable m’intéresse peu. Je m’attache à ce qu’ils viennent révéler d’un monde très contemporain dans lequel nous sommes. »

[Laetitia Guédon, propos recueillis par François Varlin, Théâtral Magazine, mars-avril 2024]


« Trois Fois Ulysse réactualise ce lien existentiel au temps, à l’amour, à la violence, à la séparation et à la solitude, des mouvements intérieurs qui composent et structurent toute conscience éveillée.

La révélation ne peut s’accomplir qu’à travers la rencontre du héros légendaire Ulysse avec trois femmes, si peu en nombre dans le panier des conquêtes du viril glorieux, mais emblématiques d’une posture féminine personnelle capable de se confronter au symbole d’un guerrier intouchable. (…)

Les interprètes accordent à leur voix juste la prose poétique de Claudine Galea, à la fois écriture profonde et distante, exacte et vraie, destinée à une belle écoute privilégiée - amusée et grave. (…)

Bel envoûtement poétique et radieux - justesse posée d’une parole féminine, musique et chants. »

[Véronique Hotte, Webtheatre, 6 avril 2024]


« Ã€ plusieurs dizaines d’années d’intervalle, Ulysse est, par trois fois, dépouillé de ses glorieux oripeaux, et confronté aux conséquences de ses actes, à la douleur de ses sentiments et aux ricochets de ses manquements et autres errements. (…)

Sous la houlette de Claudine Galea, Hécube, Calypso et Pénélope ne sont alors plus des pleureuses, des geôlières ou des épouses cantonnées à leur fidélité, mais bien des femmes fortes, de celles qui font bouger puissamment les lignes et Ulysse avec elles. »

[Vincent Bousquet, Sceneweb, 8 avril 2024]


« Dans le très exigeant Trois fois Ulysse(Éditions Espaces34), Claudine Galea rend hommage aux femmes de L’Iliade et de L’Odyssée d’Homère. Elle redessine une image du personnage qui n’a rien à voir avec le « héros « sans peur et sans reproche » des manuels scolaires. (…)

Spectacle plein de soufre, où la cruauté des cÅ“urs le dispute à un infime espoir. »

[Nathalie Simon, Le Figaro, 9 avril 2024]


« De ce très beau texte et de cette très belle mise en scène surgit un Ulysse enfin dégagé de son armure de héros invincible, un peu plus fragile et émouvant. »

[Micheline Rousselet, Culture.blog, 9 avril 2024]


« C’est un spectacle-poème, un spectacle rituel comme on en voit peu. (…)

C’est merveille de redécouvrir, grâce à la belle autrice féministe, un modèle masculin que l’on a tant dit « rusé, ingénieux, sagace, divin, unique, brillant, vaillant, avisé, subtil et à la lague de miel » et qui se révèle ici face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé – Hécube, Calypso, Pénélope –, dans toute sa violence forcenée comme sa vulnérabilité, son désarroi comme sa solitude. (…)

Au travers de ces femmes délaissées, Claudine Galea interroge majestueusement la masculinité. Non sans compassion et tendresse pour cet Ulysse ballotté entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour, toujours en quête de femmes protectrices que raconte vaillamment Laetitia Guédon.

Sacrée et dérangeante odyssée. »

[Fabienne Pascaud, Télérama, n °3874, 10 avril 2024]


« La metteuse en scène Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté : entre jeu, chants et arts visuels. (…)

Toutes trois parlent, tonnent, s’enflamment, font vibrer la partition du juste et de l’injuste. Ce sont elles, les héroïnes de ce triptyque théâtral. Ulysse, lui, tombe de son piédestal. Il n’existe plus que par le prisme de leur conscience et la grâce de leur volonté.

Densité poétique du texte et de la mise en scène ; beauté des corps, des images, des tableaux. D’un lyrisme revendiqué, Trois fois Ulysse est l’occasion d’une expérience singulière. (…)

Les comédiennes et comédiens (Clotilde de Bayser, Baptiste Chabauty, Éric Génovèse, Marie Oppert, Séphora Pondi, Sefa Yeboah) participent, eux aussi, à la vigueur tranchante de ces trois face-à-face.

A la fois charnelle et minérale, la gravité de leur présence confère un souffle souverain aux cavalcades de mots imaginées par Claudine Galea. Des cris nous bousculent, nous transpercent. Des silences nous apostrophent. Les horreurs du contemporain se rappellent à nos esprits.

Une forme de communion relie, peu à peu, interprètes et publics. Brouillant la frontière entre salle et plateau, Trois fois Ulysse tend les bras aux spectatrices et spectateurs. Heureux qui, comme elles, comme eux, a fait ce beau voyage. »

[Manuel Piolat Soleymat, La Terrasse, n° 320, 11 avril 2024]


« L’écriture de Claudine Galea est de celle qui vous lapide. Des mots aux arrêtes tranchantes qui vous lacèrent profondément. De la tragédie et de l’épopée homérienne Claudine Galea ne retient dans cet exercice de style que le poème et le lyrisme, un lyrisme sec, l’évidant de ses dieux, de l’obscur fatum.

L’odyssée d’Ulysse est chemin vers la mort d’un homme, mis à nu, dépouillé de tout héroïsme par trois femmes, Hécube, Calypso, Pénélope. Trois femmes, quelques lignes dans le récit d’Homère, dont Claudine Galea restitue, imagine la toute-puissance. (…)

Ces trois femmes dénoncent un ordre ancien désastreux bâtissant sa pérennité sur un mythe, une vérité travestie, détournée, une violence patriarcale dont Ulysse est le représentant et le faussaire. Avec cette question, qui est Ulysse aujourd’hui ? (…)
Ce que met en scène Laëtitia Guédon, c’est avant tout cette langue que chaque comédien ici traverse, incarne physiquement avec grande rigueur et sobriété, un travail d’épure remarquable.

C’est un rituel, un oratorio où texte, chant et vidéo entrent en résonnance, où la forme et le fond s’accordent sans heurt et se répondent. Un hiératisme volontaire aussi, le mouvement ici c’est la voix, modulée, sonorisée qui noue l’intime et l’épique, pénètre profondément les corps possédés, hantés par ces récits. (…)

Tous trois [Les Ulysse] dépouillent le héros de son bouclier, pour en révéler les failles profondes, répondre de ses actes, le désencombrent du mythe masculiniste devant le regard lucide de ces femmes qui lui ont rendu son humanité paradoxale en révélant au premier chef la leur et leur puissance réelle. »

[Denis Sanglard, Un fauteuil pour l’orchestre, 15 avril 2024]


« Qu’elle écrive des romans, des Å“uvres pour le théâtre ou la jeunesse, sa langue ne cesse de se réinventer, de chercher des formes, de s’aventurer hors des sentiers battus.

Son écriture dessine des cercles concentriques qui unissent intime et universel. »

[Marie-José Sirach, L’Humanité, 15 avril 2024]


« Cantate profane, une partition tragique en trois mouvements où il est question de guerre, de désir et d’amour avec, en arrière-fond, d’autres interrogations plus essentielles, plus métaphysiques sur le Temps, la solitude et le désespoir. (…)

Jamais l’écriture de Claudine Galea n’avait été aussi musicale. Rapide, rythmée. On est port » par la puissance des mots et la force poétique des images qu’ils véhiculent. »

[Chantal Boiron, Ubu, 17 avril ]


« Cette perspective féminine qui pose un regard critique sur l’un des héros antiques parmi les plus légendaires, se transforme presque en un plaisir coupable. (…)

Il était temps que ce fameux Ulysse soit scruté de plus près, et par les yeux des femmes qui ont partagé son existence.

Ce texte est une véritable libération ! Enfin, l’on se penche sur les femmes ! Et de quelle façon… Quel talent, quelle subtilité… L’humour cinglant est irrésistible !

Le décalage entre cette époque mythique et révolue, et les expressions qui sont les nôtres aujourd’hui, se lit comme une gourmandise.

Enfin, il est écrit noir sur blanc que si Ulysse est devenu si célèbre, si renommé, si illustre, les femmes de sa vie y sont pour quelque chose. Elles ont chacune forgé une partie du héros. (…)

Claudine Galea nous offre une version contemporaine et progressiste de ce mythe dédié aux hommes et à la violence.

Elle rend hommage aux femmes trop longtemps restées dans l’ombre d’un seul homme et leur restitue toute la force et la fierté qui sont les leurs. »

[Virginie, Lire et Sortir, 19 avril 2024]


« De toute beauté. »

[Isabelle Fauvel, Les soirées de Paris, 23 avril 2024]


« L’écriture directe et précise de Claudine Galea s’accorde au souffle et à la respiration. Autant chant que musique. Une écriture de vie. Une littérature d’élancement. D’engagement.

Des mots et des phrases comme des parties d’un corps. Pour mettre en branle la matière des idées et des émotions. Collusion des mots et des sentiments. Pas besoin d’images pour entendre dans le discours d’Ulysse la Palestine ou les exodes de la Méditerranée. (…)

Un texte chambre d’échos de voies amies. Déjouant les enfermements de genre – la poésie se passe très bien du fracas du lyrisme. L’épique à côté du dialogue, de la harangue, de l’interpellation et du lamento. Des mots choisis. Jamais au hasard. Retournement du mot ou mitraillage. Néologismes, archaïsmes, anachronismes…

Des registres de la langue classiques, contemporains, des parlers étrangers… L’amour, la guerre, la politique…. Une langue pour dire l’universel du propos. Un poème pour pénétrer l’intime. »

[Laurent Klajnbaum, L’insoumission, 2 mai 2024]


« Elles viennent de loin, d’un hier mythologique dont les ombres, les résonnances, les fulgurances percent et impressionnent notre présent. Elles nous adressent des récits intemporels, universels, qui touchent nos imaginaires, des histoires d’amour, de bataille, de souffrance, de violence, de rupture, de temps qui passe... (…)

Densité poétique du texte et de la mise en scène ; beauté des corps, des images, des tableaux. »

[Manuel Piolat Soleymat, La Terrasse, mai 2024]


« Il y a quelque chose qui sonne comme une invocation dans le titre de l’œuvre. Trois fois Ulysse : comme si la triple nomination pouvait s’interpréter comme une revendication, une sommation. (…)

Hécube, Calypso et Pénélope revendiquent la parole, invoquent, provoquent, convoquent Ulysse, sans lui laisser d’autre place que celle d’un déchu, bien loin du héros homérique de la légende. Il est même réduit à une simple lettre dans la bouche de ses deux premières interlocutrices – « U » . (…)

Que reste-t-il de lui après dix ans de guerre ? Hécube, Calypso et Pénélope, chacune selon son parcours, brandissent haut et fort leurs propres combats, leurs blessures et leurs renouveaux.

Pour raconter ce nouvel Odyssée , Claudine Galea insuffle à son écriture un reflet éminemment contemporain, tout en lui conservant un lyrisme absolu. La pièce prend une forme littéraire très particulière. Elle casse les codes théâtraux du dialogue (…)

Le langage lyrique de Trois fois Ulysse reste touchant et réussit à s’insinuer dans l’intériorité de ses personnages, faisant de cette nouvelle Odyssée une belle introspection sur « notre rapport au temps et à nos inconscients collectifs ». (…) Un théâtre homérique et, surtout, féminin. »

[Charlotte Payant, Théâtre Actu, 10 juin 2024]

Vie du texte

Création dans une mise en scène de Laëtitia Guédon, avec Eric Génovèse, Clotilde de Bayser, Séphora Pondi, Marie Oppert, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, et le chœur Unikanti. Théâtre du Vieux Colombier de la Comédie-Française, du 3 avril au 8 mai 2024.


Dans le cadre de « FICTION : Théâtre & Cie » de France Culture, diffusion de l’enregistrement réalisé les 23 et 24 avril 2024 au Théâtre du Vieux-Colombier, avec la troupe de la Comédie-Française, dans une mise en scène Laëtitia Guédon et une réalisation radiophonique de Volodia Serre, le 24 novembre 2024.

Deux courts extraits lus par l’autrice

Extrait 1

Extrait 2

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