Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Je reviens de loin

[p. 16-17]

— Premier impromptu

(Ce sont des voix qu’on entend, elles sont enregistrées. A peut être tenue par Paul, B par Marc, C par Lucie.)

C. –
Partie

A. –
Disparue

B. –
Pfftt

A. –
Avait tout calculé

B. –
Un coup de tête

C. –
Fini on ne la verra plus

B. –
Une femme de caractère

A. –
Si gentille
S’occupait bien de ses enfants

B. –
Une femme douce

C. –
Une qui écrit à la maison

A. –
Deux petits trésors d’enfants

B. –
On ne laisse pas ses enfants

C. –
On n’a qu’une vie

A. –
Pfftt

B. –
Un homme ça ne sait pas s’occuper des enfants

A. –
Moi j’aurais appelé la police

C. –
Elle ne reviendra jamais

[p. 49-51]

— Petit déjeuner 3

(Marc, Lucie et Paul avec intervention de Camille.)

Marc. –
Vous n’aurez plus faim à midi
Qu’est-ce que tu fais Lucie ?

Lucie. –
Des crêpes

Marc. –
Ça fait combien de temps que vous êtes à table ?

Lucie. –
Une heure et demie

Marc. –
Et tu as mangé combien de tartines de nutella, Paul ?

Paul. –
On se régale, papa

Marc. –
Vous ne croyez pas qu’on pourrait faire autre chose
Et vous avez vu l’état de la cuisine
Je n’aime pas que vous traîniez toute la matinée en pyjama

Lucie. –
Papa s’il te plaît, on est bien

Paul. –
On aime bien le petit déjeuner

Marc. –
Tu as taché ta BD

Camille. –
Laisse-les, Marc, c’est dimanche, le soleil entre par la fenêtre, il fait doux et soyeux dans cette cuisine, c’est une bonne pièce à vivre, on y est bien, on s’en fiche de ne pas manger à midi, on s’en fiche de rester en pyjama, c’est fait pour ça le dimanche, pour traîner en pyjama dans la cuisine, pour lire des livres et laisser tomber des gouttes de chocolat et de miel sur les pages, on est paresseux et joyeux le dimanche matin, ça sent la fête et la famille, la chaleur de la maison, le bonheur de rien faire, de faire ce qu’on a envie, assieds-toi reprends un café, mange une crêpe de Lucie, sors le saucisson et le fromage

Paul. –
Oh oui papa du saucisson

Lucie. –
Je peux avoir une tranche de jambon et un Å“uf pour ma crêpe ?

Marc. –
Tu m’en fais une Lucie, je vais refaire un café

Paul. –
Je peux goûter le café papa ?

Camille. –
Dis oui, allez, dis-lui

Marc. –
Oui

Paul. –
Ouahou !

Lucie. –
La prochaine fois on fera des Å“ufs avec du bacon

Camille. –
C’est doux et soyeux et chaud et lumineux et si vous mettez un peu de musique, oui voilà, quelque chose de gai, et c’est onze heures du matin, on est bien, on s’étire, on est obligés à rien, le téléphone va sonner, des amis vont passer, proposer une ballade, ou un ciné, il y aura les copains des enfants, on aura faim à quatre heures on fera un énorme goûter et ce soir on achètera des pizza, et il y aura le bain à prendre et les habits propres à préparer pour l’école demain, et la nuit tombera, on allumera dans la cuisine, on mettra le lave-vaisselle en marche, on entendra son ronron familier, on boira encore un verre de lait, et les enfants iront se coucher, et tu regarderas encore un peu

Marc. –
La télévision, les chaînes étrangères, le sport, les dernières nouvelles, avec un whisky ou un bourbon, merde, j’ai encore oublié de leur dire de se laver les dents, et maintenant ils dorment, ce n’est pas

Camille. –
Grave, non ce n’est pas grave, c’est une belle journée

Distinction

Pièce sélectionnée par le Bureau des lecteurs de la Comédie-Française pour la saison 2021-2022.

Film - long métrage

Sous le titre Serre moi fort, la pièce est adaptée en film long métrage dans une réalisation de Mathieu Amalric, avec Vicky Krieps et Arieh Worthalter.

Le film est en sélection officielle du Festival de Cannes, sélection Cannes Première, 2021.

Sortie en salle le mercredi 8 septembre 2021.

Découvrez la bande annonce.

Le film est nominé aux Césars 2022 pour la meilleure adaptation ainsi que l’actrice principale, Vicky Krieps, dans la catégorie meilleure actrice.


France Culture, La Grande Table critique par Lucile Commeaux, 10 septembre 2021

« Vicky Krieps est bouleversante dans ce film. Il n’y a pas une seconde où on n’a pas envie de la serrer fort, de la sauver, et en même temps, elle est admirable de ténacité, de fierté, de dureté, d’élégance, de classe, d’intelligence à tous les endroits, y compris dans sa propre folie, y compris dans l’autodestruction. C’est absolument sidérant. J’ai rarement vu cela en termes de jeu. La façon dont Mathieu Amalric réussit à faire advenir l’émotion dans ce chaos moderne ou post moderne est vraiment très impressionnante. C’est très fort. »
Philippe Azoury

« J’ai vraiment été emballé par ce film. J’aime beaucoup les films de Mathieu Amalric, mais celui-là atteint la perfection sur bien des points. Il arrive à nous toucher sans faire le petit malin. Vicky Krieps est l’interprète idéale puisque son visage peut à la fois tout représenter sans jamais donner l’impression de jouer. Un visage aussi magnifiquement filmé, une histoire racontée aussi puissamment, j’en ai encore des larmes aux yeux. »
Thierry Chèze

Extraits de presse

« Avant le début de sa nouvelle pièce, Je reviens de loin, elle avertit le lecteur de ne surtout pas chercher à être rationnel : « Les séquences de Je reviens de loin se distribuent dans une structure non chronologique et selon des modes narratifs différents. Leur ordre de succession sur la page respecte l’idée d’une progression de l’histoire par une logique qui tient plus de l’inconscient et de l’imaginaire que de la raison cartésienne [...]. Les mondes du rêve et de la fiction ont tous les deux la faculté de se transporter au-delà des apparences et de jouer avec les lois de la vraisemblance pour explorer une réalité plus secrète ».

Une fois le lecteur prévenu, il lui reste donc à plonger dans cette pièce comme dans un rêve.

[...] Claudine Galea fait preuve de beaucoup d’invention. Je reviens de loin est écrit comme une partition musicale, avec prélude, impromptus, premier, deuxième et troisième mouvements. L’auteur indique d’ailleurs que s’il y avait un piano sur scène, ce piano devrait être transparent.

La construction de la pièce est très particulière, explosée, des bribes de voix se répondent, des chansons se chantent, des dialogues sont troublés par des monologues intérieurs, les voisins échangent leur point de vue... Tout un univers de voix pour chercher à rendre visible l’invisible. »

[Laurence Cazaux, Le Matricule des anges, février 2004]


« Rarement le théâtre de l’intime révèle le monde invisible qui nous déborde avec une telle pulsion de vie. « Je reviens de loin » est le récit d’une femme, Camille, qui raconte sa fuite. (…)

Sandrine Nicolas (…) décrit cette pièce comme une sonate avec ses différents mouvements, passant de scènes dialoguées à des voix intérieures. En maintenant un suspense peu ordinaire, l’intrigue progresse entre passé et futur, évolue entre imaginaire et réalité, avec d’un côté Camille seule, et de l’autre Marc, Lucie et Paul dans leur quotidien entaché de son absence. »

[Scène web, 21 septembre 2023]


« Dans ce récit intime à plusieurs voix, Camille est la cheffe d’orchestre. Chaque scène survient tel un flash, une suite de photos vivantes que Camille ferait surgir de sa mémoire. Des souvenirs inventés où elle met en scène, entre autres, le désarroi de Marc son compagnon, la rage de Lucie, l’adolescente et le déni de Paul le petit garçon, face à son absence. Chacun exprimant son manque, selon sa personnalité et son âge, comme autant d’échos à la solitude de Camille.

Parfois, les voix se superposent, s’entrecroisent, Camille évoluerait-elle au milieu de ses fantômes, ou serait-ce elle, le fantôme ? Les mondes sont poreux et sa volonté de libération progresse au long d’un récit-testament d’amour pour des êtres défunts. Je reviens de loin entraîne dans une dérive intime sur le deuil et ses mécanismes, l’expression d’une immense pulsion de vie. (…)

L’écriture de Claudine Galea cultive l’art de l’énigme et de l’indécidable, ouvrant avec délicatesse les portes des songes et des suppositions avant de les refermer encore pour que le lecteur chemine à loisir. Une parole claire lancée qui n’en autorise pas moins des suspensions et des attentes, sans qu’elles soient satisfaites – une parole glissée, furtive et vive, insinuée dans le jeu théâtral, belle alternance entre voix intérieures et échanges relationnels actifs de la vie qui va. »

[Véronique Hotte, Hotello, 28 septembre 2023]


« Devant nous, les pensées d’une femme, projetées sous les faux semblants d’une fantasmagorie trouble de rêves éveillés. Nous voyons au travers des propos entendus et des situations présentées ce qui pourraient être le reflet de l’absence, d’un vide étouffant ou d’un trop-plein évité, on ne se sait pas vraiment.

Ce dont nous sommes témoins, ce sont les restes de cette vie normée qui a éclaté en fragments d’espoirs et en morceaux d’oubli, charriant la douleur de l’abandon et les souffrances du manque.

L’écriture de Claudine Galea offre par sa structure originale qui fait fi de toute chronologie, des entrées multiples à nos sensations, à notre réflexion et à nos projections intimes. L’émotion est à fleur de mots ou surprise par les regards, souvent nichée dans des silences explicites.

Le récit se fait labyrinthique et nous mène de bout en bout dans un suspens flouté aux aspects oniriques. Tout un jeu entre regrets et choix, entre réalités et souvenirs, se déploie et vient nous toucher comme le ferait sans doute une déclaration singulière d’amour anachronique.

L’écriture est composée de réminiscences parcimonieuses dites en direct ou en voix off, de scènes passionnées ou de longues logorrhées narratives prenant parfois les allures de slam. Un texte très rythmé que la mise en scène reprendra et que l’interprétation portera avec une justesse délicate et précise. (…)

Illusions ou réalités, peu importe, ces quatre-là nous parlent d’amour. Qu’ils chuchotent ou disent, qu’ils chantonnent ou psalmodient, qu’ils slament ou dansent, dans le cri ou le murmure, dans le regard ou le silence, ces si tendres liens nous troublent et nous touchent.

Voici un formidable et intrusif récit, une histoire énigmatique qui nous interroge sur les brisures de la vie, les saveurs et les maux des souvenirs, les forces de l’attachement. »

[Frédéric Perez, overblog, 29 septembre 2023]


« Original et délicat, et joliment mis en scène par Sandrine Nicolas, Je reviens de loin entrelace les récits, les plans de la fiction et les personnages autour de l’absence d’une mère. (…)

Le récit ne donne pourtant pas dans l’explication psychologique, pas plus qu’il ne recherche la vraisemblance narrative. (…)

les souvenirs se mélangent avec ce que la vie devient possiblement, les scènes se font tour à tour vraisemblables et oniriques, les personnages s’entrecroisent sans se voir et malgré la déchirure, petit à petit, la vie se raccommode.

[Eric Demey, La Terrasse, 29 septembre 2023]


« Camille a brusquement quitté son mari Marc et ses deux enfants Paul et Lucie, sans explications. Elle a choisi l’invisibilité pour des raisons que l’on ignore.

La voix intérieure de Camille conduit ce récit à la première personne ; elle se souvient, fantasme, rêve la vie de ceux qu’elle aime, imagine comment chacun vit l’épreuve de son absence. (…)

La voix profonde de la contrebasse de Théo Girard accompagne avec sobriété cette songerie fragmentée, traversée de propos bien réels en voix off. La poésie s’avère la substance même du spectacle ; elle nous promène dans des espaces sonores et visuels (…)

Mais voilà, qu’au détour d’une phrase, d’un coup de théâtre à bas bruit, d’un renversement inattendu qu’on ne révélera pas, le récit de Camille se reconfigure, prend un sens nouveau, s’obscurcit et s’éclaire à la fois. »

[Corinne Denailles, Webthea, 1er octobre 2023]


« Cette pièce labyrinthique pose la question du manque et du deuil. Remarquable et inquiétant. (…)

La mise en scène de Sandrine Nicolas est d’une âpre beauté. Elle avance à pas feutrés. Il y aurait de l’art de la fugue ici. Tout en contrepoint. (…).

Le temps d’avant se noue au temps présent et au temps futur. »

[Anthony Palou, Le Figaro, 2 octobre 2023]


« Magnifiée par la metteuse en scène, ce très beau texte sur le deuil pénètre nos âmes. »

[David Rofé-Sarfati, cult.news, 4 octobre 2023]

Le texte à l’étranger

Traduction en grec par Dimitra Kondylaki dans le cadre de l’Atelier de Traduction Théâtrale de l’Institut Français d’Athènes et lecture dirigée par Esther Andre Gonzales, le 7 avril 2009.


Traduction en coréen par Hyegyong Im à la demande du Théâtre Francophonies de Séoul en 2024.

Création dans une mise en scène de Catherine Rapin, Séoul, Corée, du 10 au 19 mai 2024.

Publication aux éditions CommunicationBooks Inc. en mai 2024.

Vie du texte

Lecture au Studio-Théâtre de la Comédie Française dirigée par Eric Génovèse, le 12 mars 2004.


Lecture au Théâtre des Deux rives de Chareton-le-Pont (94) par la compagnie du Théorème de Planck, le 15 janvier 2007.


Lecture par le Théâtre de la Chélidoine à Saint-Angel (19), le 19 janvier 2007.


Mise en lecture sur France Culture, Atelier Fiction, dans une réalisation de Marguerite Gateau avec Cécile Gérard, Matthieu Létuvé, India Hair, Camille Garcia, Sylvie Amato, Adrien Solis, Elodie Huber, le 8 mai 2013.


Création dans une mise en scène de Sandrine Nicolas, compagnie Échos Tangibles, avec Françoise Gillard, Pierre Louis-Calixte, Adrien Simion, Léa Lopez, au Studio Théâtre de la Comédie-Française du 21 septembre au 29 octobre 2023.

Les Obsédés textuels

Une émission sur le théâtre proposée par Fabien Arca, Marjolaine Baronie, Emmanuelle Soler et Simon Backès, diffusée sur radio Campus 93.9FM consacrée à Claudine Galea et son texte Je reviens de loin, enregistrée le 1er avril 2024.

Un court extrait lu par l’autrice

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