Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Début

[IMAGES D’ARCHIVES EN NOIR ET BLANC. 1969. ÉMEUTES DE STONEWALL.]

Et ce feu à Stonewall je me souviens, ces hurlements. Personne ne nous représentait. Le temps était venu de révéler aux yeux du monde qui nous étions. Nous voulions des réponses, et libérer le monde de l’oppression, des inégalités, la discrimination. Ils voulaient faire de nous des marginaux et des parias, minorité. Nous avons initié le mouvement, la lutte et la libération. Nous étions l’avant-garde, le dos au mur en première ligne au front, on repoussait les flics. J’ai toujours cru profondément au regroupement et à l’alliance, la convergence des luttes. Et je n’ai jamais eu peur. De me faire battre, d’être cognée, je n’en avais rien à foutre. Et si j’avais envie de sortir la nuit vêtue en homme je le faisais. Et je faisais pareil si je voulais sortir en femme.

Stonewall c’était un bar, un petit bar de nuit, New-York, 6eme District, Greenwich Village in Manhattan, bar réservé aux hommes, la clandestinité. À cette époque les bars étaient tous interdits, aux SDF et aux chômeurs, aux prostituées et aux lesbiennes, aux travestis, aux noirs, aux gays, et aux drag-queens.

Stonewall je me souviens, à ma première entrée j’étais la seule drag-queen, j’ai demandé s’ils pensaient que j’étais un homme, ou s’ils pensaient que j’étais une femme, ils n’ont pas répondu, alors je suis entrée. C’était très difficile à cette époque d’être travesti, parce que les flics vous arrêtaient, et sans aucune raison. Sous le mépris, le ridicule et sous la haine. On traversait une telle période de répression et d’exactions, c’est insensé d’y repenser. Mais rien n’a véritablement changé.

Je me souviens, je dansais sur la piste, un doigt de scotch un mojito une téquila frappée, j’étais grisée, et les lumières d’un coup ont été allumées, c’était une rafle, un raid, les flics nous embarquaient, ils nous frappaient. Mais la situation s’est retournée, les gens ont dégainé des armes, le peuple — lames de rasoirs, cutters —, et ils ont balancé des verres, jeté des pierres, des cocktails Molotov. Et j’ai pensé : « Mais oh merci mon dieu c’est la révolution. Vous nous avez traité comme de la merde maintenant c’est votre tour. »

Stonewall était en feu.
Les voitures renversées, et la circulation bloquée.
Et le mouvement a commencé, la Nuit, la lutte.
C’est aujourd’hui le monde entier.


Figure face caméra elle pleure. Figure cernée de khôl. Finesse de l’eye-liner. La pulpe de ses lèvres d’un rouge vermeil tatouée. Un tailleur strict, une chemise blanche, une cravate noire GUCCI, un poing levé, ganté d’une dentelle araignée mouchetée. Bagues et bracelets et crucifix, rosaire nacré, une larme unique qui coule sur son visage. Elle pleure, Sister, ma sœur. Madonna dit : « But god loves gay people. » Elle pleure, elle parle Stonewall je tague, et sur leur mur j’écris. Elle parle d’une parodie, d’une farce politique, d’un simulacre démocratique. elle dit qu’ils veulent éradiquer — une nouvelle vague persécutrice, massacres, pogroms, et haine partout —, ces garçons-là, les garçons gays de l’Ouganda, de Tchétchénie. Elle parle, je la regarde, je pleure. Stonewall je tague, et sur vos murs j’écris.


Extrait 2

Mon père est mort 1 an tout juste après ma mort sur le char de l’histoire.
Finalement tu n’auras rien connu, ni de ma mort, ni de ma vie.
Je ne serai restée, rien qu’un homosexuel. « Une pauvre folle mon pauvre gars », ses mots, il disait ça cet homme, mon père.
Tu n’auras rien connu de moi.
Alors que j’ai tout de même écrit un petit bout, certes un petit bout, mais tout de même un petit pan d’histoire. Tu n’en as pas voulu.
Quand ma révolution a commencé — à l’intérieur la subversion —, ce jour, je dansais dans ma chambre, agenouillée. Je répétais des heures durant la danse, ce jour de ma révolution, ma subversion.
Sister, ma sœur, Madonna dit : «  Just like a prayer, your voice can take me there, just like a muse to me, you are a mystery, just like a dream, you are not what you seem, just like a prayer no choice your voice can take me there. »
Un Christ noir cloué en bandoulière au-dessus de ma table de chevet, celui de ma grand-mère. Les larmes coulent le long de ses joues s’écoulent. Des larmes si rouges, sacrificielles.
Je danse des heures d’une magie noire, d’une sorcellerie, balance mon cou comme une crinière, les paumes plaquées au sol sur la moquette dans une offrande.
J’ai eu 12 ans ce jour, le jour de ma révolution — ma subversion, mon émancipation, ma féminisation —, et de ce jour tu m’as haïe.
Déjà Stonewall, un cloisonnement dans ces entrailles de la maison.
Celle de cet homme qui fut mon père.
Tu ne voulais pas que cela se voie, tout ce désir, cette vie en moi.
Tu avais peur de moi ?
Ce désir effrayant — désordre —, ce volcan réveillé en moi ?
« Mais si l’on veut courir avec les loups », ne dit-on pas, Papa, « qu’il faut hurler avec la meute ». J’aurais du moins appris cela.


Extrait 3

[POLAROID]

se tenir par la main John et s’embrasser et se toucher et s’enlacer devant les autres « oh love to love you baby » aux yeux du monde John postés debout là sur le char de l’histoire des nuits entières debout nos mains gantées de noir dressées je n’avais jusqu’ici jamais perçu combien tout cela est politique éminemment John c’est notre manière de vivre ensemble sensuelle et poétique notre manière de se parler se caresser ces gestes si frêles et si pudiques « oh love to love you baby » et je n’avais jamais autant saisi John combien tout cela est idéologique.

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