Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

p. 18

GUIDE. – vous le savez les témoignages sont sujet à caution
peu fiables après tant de temps
est-ce la mémoire ou l’imagination qui projette des images
auxquelles nous ne voulons désormais croire
et pourtant certains ont vu
vu des choses que jamais personne n’aurait osé voir
produites comme en l’absence de l’homme
si incommensurablement petit qu’il n’a rien vu
rien voulu voir
étrange cette faculté d’oubli qui nous habite
mais je ne suis pas là pour donner des leçons
non
le passé parle tout seul
à qui sait l’entendre

laissez-moi vous présenter un témoin du désastre
prisonnier des derniers instants qui ont précédé l’apocalypse
témoin aveugle direz-vous
ébloui par la lueur finale
yeux clos dorénavant sur son secret
mais à qui il reste la voix
chien furieux il porte la parole de porte en porte
et parle
et parle au vent aux pierres à la lune

p. 19 à 21

pas vu pas vu
oh que si oh que si
a vu a vu
bien vu
tout
et même le reste
tout
a vu
balivernes balivernes ont dit
mais moi oh que si si
tout a vu tout
pas balivernes moi
jamais
jamais balivernes moi
a vu bien vu
et disent balivernes pfuit
balivernes eux oh ça oui
toujours balivernes eux
et pas non
moi là
moi tout vu a vu
oui moi moi
eux pfuit pfuit et repfuit
eux oh
eux pfuit et balivernes
oh que oui
et pas contraire
moi a vu
a bien vu tout
bizarre disent bizarre
vu vu
vu quoi disent
sinon balivernes
vu quoi sinon rien vu
moi
que si et pas balivernes
tout et rien d’autre
et le reste a vu moi
et balivernes eux pfuit
eux
quoi a vu quoi
dis tout mais quoi tout et reste et autre
dis
eh eh rien dis
rien
eh oui dis pas
rien a vu
rien
alors moi moi a dit
là-bas a vu
où quoi eux
bizarre et balivernes
pas bizarre et pas balivernes moi
a vu vu avec de
oui de
tout et reste et autre
quand où eux comment et quoi
si pas balivernes
bizarre
moi si
quoi oui
et où et quand
comment oui
jamais balivernes moi jamais
oh que non et non
eux oui et toujours oui
pas bizarre non
moi a vu tout
de
avec
moi
et tout
et reste
et autre
et moi oui
moi pas balivernes
moi
moi
eux jamais
si a vu
a vu tout
moi
quoi a vu quoi quoi
et où
là-bas a vu moi là-bas
à de
tout
car
moi a vu car
oh que oui
et si reste et autre
moi a vu moi a dit
eux quoi dis quoi si a vu
si a vu tout
alors alors si pas balivernes
jamais balivernes moi
moi jamais
alors bizarre eux
car quoi et où
et moi
pfuit et repfuit
car moi
pas quoi et comment et quand
pas
et pas balivernes
moi pas quoi et pas comment pas quand
là-bas oui oh que oui
a vu là-bas tout
tout tout et reste et autre
mais pas quoi
pas quoi moi
et pas balivernes
là-bas de
bizarre oui
oui
mais pas balivernes
a vu
tout
pas balivernes
tout a vu moi
moi
oh que oui oh que oui
moi a vu si si

p. 30 et 31

X. – voyez-vous le choc
le véritable

Y. – et ineffable choc amoureux

X. – ne se signale pas tant par un léger trouble physique

Y. – que par un court-circuit inopiné dans ma faculté élocutoire

X. – dans ma faculté élocutoire

Y. – d’un naturel assez loquace

X. – voire prolixe

Y. – enclin à des propensions intimes

X. – ou conviviales

Y. – que ce soit en présence d’inconnus à la terrasse d’un café

X. – dans la cohue des transports publics ou encore

Y. – etc

X. – il arrive

Y. – phénomène étrange par lequel se manifestent justement les symptômes de ce trouble

X. – de cette brèche qui bée en mon for intérieur

Y. – de mon for intérieur il arrive que confronté à une femme séduisante

X. – sur laquelle se porte le désir brusque

Y. – et incontrôlé

X. – que justement à l’instant propice où il faudrait circonvenir l’objet désiré d’un étau verbal

Y. – qui l’enserre de mille artifices tous plus étincelants que les autres

X. – sans jamais céder à la banalité hélas si commune et

Y. – et si facile

X. – ni à cet excès emphatique d’un discours insignifiant

Y. – pour le faire tomber dans l’escarcelle du bonheur

X. – l’objet désiré

Y. – et faut-il le dire de la jouissance

X. – il arrive donc que cette faculté oratoire

Y. – pourtant si bien rodée sur des objets non sexuels

X. – tombe en panne

Y. – eh oui

X. – je transpire

Y. – je cherche mes mots

X. – je sue

Y. – je perds ma syntaxe

X. – je mouille ma chemise

Y. – j’oublie mes conjugaisons

X. – je dégouline

Y. – j’ai des trous

X. – je bégaye

Y. – eh oui je bégaye

X. – vous me direz que l’avantage d’une telle impuissance verbale est justement d’indiquer que se produit là l’événement et non un obscur succédané un ersatz passionnel

(…)

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