Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Dans le hangar.
Lumière d’été. Début d’après-midi.
Une entrée donnant sur l’extérieur.
Des fenêtres.
Une chaise vide éclairée par le soleil près d’une des fenêtres
Deux matelas avec couvertures à même le sol.
Une gazinière au fond.
Un évier. Près de l’évier un seau rempli d’eau.
Une machine à laver qui tourne. Ronronnement monotone.
Une table avec deux assiettes. Un bocal où Simon a enfermé une araignée. Un sécateur.
Yarold est en train de faire chauffer des lentilles.
Simon près de la machine à laver le regarde.
Long moment.
Puis Simon montre du doigt un point sur le compteur de la machine.

SIMON. - Normalement c’est à cet endroit, là, que tu reviens.

Il montre où en est le programme.

Et nous sommes là.

Un temps.

Le matin j’appuie sur la machine et je sais toujours quand tu vas rentrer.

Un temps.

Tout sera propre.

YAROLD. - Qu’est-ce que tu as mis dedans ?

SIMON. - Les pantalons, les chemises.

YAROLD. - Pourquoi ça fait ce bruit là ?

SIMON. - Regarde, hier j’ai ouvert les lentilles et je me suis coupé. Quand tu n’étais pas là.
Tu ne dois pas te couper Yarold.

Simon prend le sécateur sur la table et le montre à Yarold.

L’arbre, il y a une branche je lui ai coupé, elle pourrissait, elle gênait les autres.

Simon désigne le bocal qui contient l’araignée sur la table.

Elle aussi, elle dévorait l’arbre.
Je la voyais revenir tous les jours alors je l’ai enfermée.
Regarde. Toute petite et elle dévorait l’arbre.

YAROLD. - Qu’est-ce que tu lui donnes à manger ?

SIMON. - Des miettes et des mouches mortes.

YAROLD. - C’est pas la saison.

SIMON. - Elle vivra jusqu’à septembre.

YAROLD. - L’araignée oui.

Simon regarde Yarold faire chauffer les lentilles.
Ronronnement toujours de la machine.

SIMON. - Il faut que tu ailles dans la caravane.

YAROLD. - C’est pas l’heure.

Simon montre un point sur le compteur, plus loin que là où en est le programme.

SIMON.- Normalement c’est là, la piqûre.

YAROLD. - Tu vois.

SIMON. - Elle a crié ce matin.

YAROLD. - Il n’y en a plus de piqûre. Tu manges et on va acheter ce qu’il faut.

SIMON. - Il faut que tu y ailles.

YAROLD. - Tu manges d’abord.

Simon va s’asseoir à la table avec le bocal de l’araignée dans les mains, qu’il pose devant lui.

SIMON. - Ce matin, j’étais content.
Je me réveille dans le hangar, les bruits des trains et la lumière partout.
J’ai vu dans ma tête Baral et Magda rire l’année dernière quand c’était la lumière partout aussi.
Et Baral me dit Tu iras loin Simon mais je ne savais pas où, et Baral, il ne me l’a pas dit, il te l’a dit à toi, Yarold ?

YAROLD. - Désolé.

SIMON. - Je suis allé dans la caravane demander à Magda.
Et j’étais content même si Baral ne lui avait pas dit non plus.
Magda crie parce qu’elle veut une piqûre.
Yarold va revenir, Magda, écoute le bruit des trains.
Je ne sais pas où j’irais loin mais je sais que tu reviens toujours.
Magda veut une piqûre. Son visage est jaune, elle pleure et je suis content.
Alors je vais derrière la caravane, et j’appuie sur là où les lentilles m’ont coupé pour pleurer comme Magda.
Il y a du sang partout sur mon doigt et sur la terre qui tombe, je suis content parce que c’est comme celui de Magda.
Toi aussi tu dois être contente, Magda, j’ai arrosé l’arbre, il a poussé très vite et bientôt il aura de grandes branches et tu pourras aller dessous pour attendre Yarold avec moi. Toi aussi tu dois être contente.
Elle m’a fait un sourire, elle était contente comme moi, et je n’étais plus triste du tout.
Écoute le bruit des trains Magda, c’est Yarold.
J’ai entendu un train, j’ai entendu deux trains, toujours je me disais que c’était toi et j’ai couru dans la rue pour t’attendre, il y avait la lumière, les enfants qui jouaient au foot, je leur ai montré ma main. Il faut que tu ailles faire la piqûre Yarold.

YAROLD. - Je t’avais dit de ne pas montrer ta main aux gens !

SIMON. - Pour rire. Comme les oiseaux ils sont. Ils courent partout en criant.

YAROLD. - Ne montre ta main pourrie à personne, pauvre con.

SIMON. - Tu ne dois pas me dire des méchancetés.

YAROLD. - Tu veux qu’on ait des emmerdes ? Que les gens viennent se plaindre aux flics parce que le débile du hangar fait peur à leurs gosses avec son moignon ?

SIMON. - Tais-toi.

YAROLD. - Tu veux manger ?

SIMON. - Tais-toi.

YAROLD. - Tu ne veux pas manger ?

Simon tend son assiette.

YAROLD. - Enlève-moi ce bocal.

SIMON. - C’est l’araignée je veux la voir.

YAROLD. - Tu as fait des trous pour qu’elle respire ?

Yarold prend le sécateur et fait un trou dans le couvercle du bocal.

SIMON. - Je ne veux pas qu’elle s’échappe.

Yarold fait encore un trou dans le couvercle. Puis il montre le bocal à Simon.

YAROLD. - Maintenant elle respire.
Yarold lui sert le plat de lentilles.
Simon se met à manger les lentilles en regardant l’araignée.

SIMON. - Les enfants qui jouent au foot.
Ils disent que je suis un fils de pute d’enculé.
Quand j’ai montré ma main et qu’ils ont fait les oiseaux.

YAROLD. - Tu n’avais qu’à pas leur montrer ta main.

SIMON. - C’est vrai que je suis un fils de pute d’enculé ?

YAROLD. - Comment savoir ?

SIMON. - Je ne suis pas un fils de pute d’enculé.
Magda elle m’a dit de venir quand j’étais petit sur le parking.
Elle ne m’aurait pas dit ça si j’étais un fils de pute d’enculé.
Quand je suis content je vois dans ma tête Magda qui me dit de venir et le parking qui disparaît.
Regarde Yarold, je me suis coupé avec les lentilles, et c’est la même couleur que le sang de Magda quand tu lui fais la piqûre, alors je suis pareil qu’elle.
Quand j’étais petit peut-être que mon sang était gris comme le parking, pas comme celui de Magda, mais maintenant je me suis coupé et regarde c’est la même couleur.

YAROLD. - Mange.

SIMON. - Je ne fais plus peur aux enfants si demain tu restes.

YAROLD. - Ne dis pas demain comme tu dirais Ensemble, comme tu dirais Yarold, Magda et moi.
Demain il n’y a que toi que ça concerne.
Au bar 64, pas mal de demain disparaissent chaque soir.
Toujours quelqu’un qui manque, et si je fais la remarque ben merde y a moins de monde qu’hier, c’est bois-pour-deux{}qu’on me répond.
Mais quand le soir d’après, je ne vois pas la différence avec la veille, que c’est le même whisky et la même main à côté de la mienne, alors ça commence à se serrer dans mon ventre.
J’ai l’idée que c’est Magda. Je bois pour deux.
Ça se coince dans mon ventre. L’idée que quand je rentre, oui !, cette fois c’est la bonne.
Mais toujours elle est là, toujours, chuchote ce qu’elle dit toujours :
Quand même drôle qu’il tienne aussi longtemps le salaud.
Et alors elle tapote l’endroit de son cœur.

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