Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

Extrait, p.9

ELLE

droite devant toi je suis ton amour
et je t’apporte le vin l’eau l’air qu’il te faut
je vois comme tes yeux sont doux
je ne crains pas ta lumière
ni ton coeur
ni je veux que tu t’éloignes
je veux que tu restes

prends le vin
prends l’eau et l’air
et prends-moi
si tu crois qu’il existe une manière de me prendre
moi qui vis maintenant dans les siècles enflammés
dans le désarroi et l’opulence
prends-moi et mon temps avec
ma terre retournée
prends tout
si tu penses que tu peux supporter

ta famille nous connaît
elle peut témoigner que l’époque est dure
que notre amour peut changer le monde
elle m’a vue t’embrasser l’autre fois
sous les arbres du cimetière
et ton père s’est penché vers ta mère
et ta mère vers ton père
et ils ont dit oui
eux déjà ils ont dit oui
ils sont souriants et ils attendent que tu te décides

bois un peu pour réfléchir
ne parle pas à la légère
pèse les mots les idées
il y a tant de choses à faire
tant d’amour qui ne vient pas se glisser par les maisons
tant d’amour qui ne se dit pas
et rien ne se fait

bois un peu d’eau ou de vin ou d’air
respire
le temps de penser à ta réponse
je te regarde
tes doigts entourent le pot de vin
je te regarde boire
je trouve que tu es pour moi
tes mains sont à ma mesure
bois mon aimé

par-delà les collines il y a le cimetière
et les anciens se reposent
les tiens et les miens
les nôtres dorment là
on voit les tombes qui s’alignent

et je me souviens de toi
à la mort d’un ancien tu pleurais
comme s’il s’agissait de ton père
comme un enfant moi de même je pleurais
parce que l’un de nous c’est notre frère

et ils n’étaient pas nombreux ceux qui pleuraient
ceux qui étaient tristes ils n’étaient pas nombreux

là je t’ai vu
pour la première fois
tes larmes coulaient si vite sur tes joues
on n’aurait pas pu les attraper toutes

et je me disais quel est cet homme ici qui pleure
quel est celui qui est si troublé
cet homme est comme moi

mais déjà il fallait serrer les mains
alors je me suis placée dans la file des proches
des hommes et des femmes sans tristesse
je me suis glissée derrière toi
ta veste tremblait devant moi
tes coudes et tes joues brisées
tes cuisses et ta nuque
je voulais caresser tout ce qui t’appartenait

(...)


Extrait, p. 22

LUI

je me tiens devant toi et je me demande
comment est-ce une possibilité de te trouver là
comment le monde ne t’a pas simplifiée en chiffre
comment les chars n’ont pas surgi t’écrabouiller
comment se fait le monde et toi au milieu

car je sais la violence et la destruction
le son des bombes et celui des cris
je sais que rien ne se tolère et tout s’achète
alors
toi
ici
c’est à peine y croire que la terre existe

et si tu peux être je veux être avec toi
je veux continuer sur cette terre où nous passons
à semer
à récolter
à chanter
à danser
pendant que le temps nous est donné
je veux vivre

mais prends mes bras pour t’enlacer
la nuit vient sur la ville
il n’est plus rien à deviner des rues
des jardins ne subsistent que les ombres
glisse tes mains dans les miennes
je vais te dire ensuite
car il faut que tu saches
de moi et du monde
la vérité

les frères dont tu parles
ceux-là mêmes qui sont de ta famille
ils ont voulu m’emmener
ils avaient des armes
et ils agitaient la mort devant moi

(...)

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