Après diverses traductions liées à des mises en scène, création d’une collection "Théâtre contemporain en traduction" avec la Maison Antoine Vitez-Centre international de la traduction théâtrale
Extrait milieu, partie 1
Pendant quelques jours, Sze Yin a toutes ses journées de libres, et ils passent tout leur temps ensemble.
Dans la chambre d’étudiante de Lin Lin. Ou à l’hôtel de Sze Yin. Ou le matin dans sa chambre d’étudiante, l’après-midi à l’hôtel, et le soir de nouveau dans sa chambre.
Au final, l’important est de rester à l’intérieur. Un espace intime. Où s’oublier mutuellement avec le monde extérieur.
Lin Lin dit qu’elle aime traîner à la maison avec ses amoureux. Toute la journée enlacés on ne s’ennuie pas.
Quant à Sze Yin, ça fait déjà longtemps qu’il n’a plus l’âme d’un touriste, et quelle que soit la ville il n’a plus trop envie de visiter. Ce n’est plus comme avant.
Il se sent lassé du monde. Et ce sentiment, Sze Yin ne le connait que trop bien.
Sze Yin est spécialisé dans les technologies de pointe, et souvent il se dit que les Hommes et la Terre sont sa limite à lui.
The sky is the limit. Il y a une phrase comme ça en anglais.
Quoi qu’on en dise, les Hommes et la Terre ne sont que solitude. Nous ne parvenons pas à trouver d’autres êtres avec qui communiquer.
Sze Yin fait part de son sentiment à Lin Lin.
Ma solitude à moi vient de l’émigration. Une émigration sans fin ; dit Lin Lin.
« En songeant à l’infini du Ciel et de la Terre, de solitude et de tristesse mes larmes coulent. »
Sze Yin avait pensé alors à ce poème, mais comme il ne savait pas le dire en mandarin, il l’avait écrit sur son téléphone.
Hum.
Une pause.
Je ne comprends pas très bien ; Lin Lin a un sourire gêné.
On a beau être si nombreux sur la Terre, au fond chacun de nous est seul ; explique Sze Yin.
Sze Yin n’a pas toujours une très bonne prononciation en mandarin, et de son côté Lin Lin trouve qu’elle n’a pas un assez bon niveau en chinois et en anglais.
On n’a qu’à utiliser l’anglais !
Lin Lin ne veut pas. Mon anglais est trop nul. Je ne veux pas être ridicule.
Elle fait partie de ces gens qui se mettent toujours à l’écart à cause des barrières de la langue.
Tu voulais me repousser, au final pourquoi tu ne l’as pas fait ?
Il se trouve que je venais justement de clarifier ma relation avec mon précédent copain, alors j’étais pile dans l’humeur pour un début d’histoire. Mais au début, je n’aurais pas vraiment imaginé que ce pourrait être toi.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je pensais que tu étais peut-être gay, ou peut-être asexual.
Je n’ai pas l’air de m’intéresser aux femmes ?
Difficile à dire. Mais en tout cas quand tu es revenu à Berlin, j’avais alors un peu deviné que cela pourrait être toi.
Après ses vingt-cinq ans, Sze Yin avait pas mal changé de personnalité. La plupart des gens le trouvaient beaucoup plus sérieux. Beaucoup plus sage disaient-ils. Etait-ce pour cela qu’on pouvait le prendre pour un asexual ?
En réalité, Sze Yin venait lui aussi de rompre, mais il n’avait même pas passé un an avec sa précédente copine. Et avec ses copines d’avant sa plus longue relation n’avait jamais dépassé les trois ans.
Right Timing, Right Person.
Il ne sait pas pourquoi, mais Sze Yin avait eu une vie sexuelle très limitée avec ses précédentes copines.
Après la première fois où ils font l’amour, Lin Lin lui demande :
Et maintenant, c’est quoi notre relation ?
Une open relationship ?
Sze Yin ne voit pas les Long D d’un bon oeil.
Quand elle entend ça Linlin frissonne dans ses bras.
Non.
Sze Yin réfléchit.
Bon, OK. On va essayer d’avancer pas à pas alors.
Mais cette fois-là, le séjour de Sze Yin ne devait pas durer très longtemps, et début janvier il devait repartir. Et par ailleurs entre-temps, il devait aussi aller passer quelques jours à Stockholm.
La veille au soir de son départ pour Stockholm, il y a un attentat à Berlin.
Quand cela se produit, Sze Yin n’est au courant de rien. Ils sont tous les deux à l’hôtel enlacés puis ils dorment jusqu’à dix heures du soir. Ils n’ont même pas dîné.
Juste avant de sortir, Sze Yin regarde son portable, il a plein de messages d’amis qui prennent de ses nouvelles.
Sze Yin active pour la première fois le Safety Check de Facebook, puis il répond à ses amis un par un.
Quand ils se retrouvent dans la rue, les rues sont inhabituellement calmes.
L’hôtel de Sze Yin est du côté de Berlin-Est, et il y a peu de chances que le quartier soit visé.
(…)
Extrait, mileu partie 2
Alors qu’ils arrivent à Tin Lok Lane, Yat Sum demande à Sze Yin s’il a quelqu’un.
On peut dire que oui.
Mais le cœur de Sze Yin se vide d’un coup : On peut dire que oui ?
C’est qui ? Tu as une photo ?
Sze Yin sort son portable, il montre quelques photos de Lin Lin.
Elle est jolie ! Pourquoi tu dis On peut dire que oui ?
Entre une Long D et n’être avec personne il n’y a pas vraiment de différence.
Ça fait combien de temps que vous êtes loins l’un de l’autre ?
Sze Yin fait le compte intérieurement.
Ça va faire plus de trois mois.
Ça ne fait pas très longtemps ! Tchekhov l’écrivain russe et sa fiancée qui plus tard est devenue son épouse, ils ont été séparés pendant six ans avant que ça pose problème dans leur couple.
Trois mois quand on le dit ça ne paraît pas long. Mais quand on le vit ça l’est.
Aujourd’hui avec les nouvelles technologies, quand tu as envie de te voir tu peux aller sur Skype ou Facetime. Tchekhov lui n’avait que sa correspondance.
Yat Sum regarde Sze Yin, Sze Yin n’arrive pas à déchiffrer son regard.
Début janvier, Sze Yin était rentré à Hong-Kong. Avec Lin Lin ils s’appelaient quatre à cinq heures par jour en visio.
Grâce à la visio ils étaient scotchés ensemble.
Hong-Kong a sept heures d’avance sur Berlin.
Quand Lin Lin se réveillait, il était quatre à cinq heures de l’après-midi pour Sze Yin. Il quittait alors discrètement le bureau pour l’appeler d’en bas de l’immeuble. Quand c’était à Lin Lin de sortir de cours, il était une heure du matin pour Sze Yin, et ils pouvaient encore se parler pendant deux heures.
Sze Yin luttait contre le sommeil, et Lin Lin se dépêchait de rentrer chez elle après les cours pour avoir aussi cet autre rendez-vous du soir.
Ils étaient infatigables.
Et c’était sans compter les textos, les photos de ce qu’ils mangeaient, des rues où ils se baladaient chacun de leur côté, de leurs soirées.
De Hong-Kong à Berlin il n’y a pas de vol direct, mais même avec une correspondance le trajet ne prend que douze à quatorze heures. Qu’en une demi-journée on puisse atteindre l’autre bout du monde, au fond ça ne fait pas loin.
Et eux, au fond ils étaient ensemble.
La seule chose qui les séparait, on aurait dit que c’était l’écran de leur téléphone portable.
A cause de ce tout petit bout d’écran, ils ne pouvaient pas s’embrasser quand ils le voulaient, ils ne pouvaient pas se serrer dans les bras quand ils le voulaient.
(…)