Éditions Espaces 34

Théâtre du XVIIIe siècle

Essais et pièces rendant compte de la grande variété de formes du théâtre du XVIIIe siècle

Extrait du texte

La Française italienne de Legrand

La scène est à Paris, chez Pantalon.

SCENE I, p. 46
Agathine, Nison

AGATHINE
Oui, ma chère Nison, je suis au désespoir. J’apprends dans ce moment que Pantalon, mon tuteur, est de retour à Paris de son voyage d’Italie, qu’il est descendu ce matin chez un certain Docteur Lanternon, son ancien ami, et qu’il va venir ici tout à l’heure.

NISON
Eh bien, qu’il vienne, je l’attends de pied ferme.

AGATHINE
Mais tu sais bien, Nison, que sur ce que ce maraud de Scapin lui a fait écrire de Paris, que j’avais à mon service une Française qui introduisait tous les jours un jeune homme dans la maison, il m’a recommandé par ses dernières lettres de te chasser et de prendre une femme de chambre italienne en ta place ; que va-t-il dire, s’il te trouve ici ?

NISON
Que voulez-vous qu’il dise ? Il ne m’a jamais vue. Est-ce que je ne sais pas assez d’italien, pour passer pour Italienne ? Vous lui ferez accroire que vous avez suivi ses ordres, et que je suis celle que vous avez prise à la place de la femme de chambre française que vous avez chassée.

AGATHINE
Mais Scapin qui te verra ?

NISON
Ne craignez rien. Scapin ne viendra d’aujourd’hui ici, il compte que Pantalon n’arrivera que demain, et nous aurons tout le temps qu’il nous faudra pour tromper notre vieux tuteur et faire en sorte que Lucidor vous épouse à sa barbe. Tout est disposé pour cela.

AGATHINE
Ah ! je crains que l’arrivée imprévue de Pantalon ne nous donne bien de l’embarras. Lucidor qui n’en sait encore rien, viendra ici dans le temps qu’il y sera : il amènera peut-être avec lui les violons et les musiciens qui doivent exécuter le petit divertissement qu’il vous donne aujourd’hui. Que dira Pantalon de voir tous ces préparatifs ?

NISON
Et mort de ma vie, ne cherchez point de chagrins dans l’avenir. Quand les embarras naîtront, votre amour et mon adresse nous inspireront les moyens de nous en tirer.

AGATHINE
Jamais on ne te prendra pour une Italienne à ton accent.

NISON
Bon, bon ! Je dirai que Paris a corrompu ma langue maternelle. Mais dites-moi, Pantalon ne sait-il pas le français ?

AGATHINE
Il entend quelques mots par-ci, par-là. Mais en le voulant parler il confond à tous moments les deux langues ensemble et parle quelquefois un baragouin qui n’est ni français ni italien.

NISON
Tant mieux, tant mieux, nous lui en ferons bien passer.

AGATHINE
Il ne sera pas fort difficile. Mais revenons à Lucidor. Si Pantalon en arrivant veut m’épouser suivant le testament de mon père ?

NISON
Votre père était un vieux radoteur. C’est bien aux morts à vouloir régler les volontés des vivants. Passez outre, Mademoiselle. On ne reviendra pas de l’autre monde vous en faire des reproches.

AGATHINE
Mais Pantalon se va servir de l’autorité que lui donne ce testament : il gardera peut-être mon bien.

NISON
Oui-da cela mérite réflexion. En ce cas, il faut le ménager, et lui faire bonne mine en arrivant pour le mieux attraper.

SCENE II
Pantalon, derrière le théâtre, Agathine, Nison

PANTALON, derrière le théâtre
Andaté cercare il notaro subito, subito.

AGATHINE
Ah ! j’entends la voix de mon tuteur, je suis dans un trouble si grand que je ne me connais plus.

NISON
Allons, allons, Mademoiselle, il faut vous rassurer et lui faire même plus d’amitié que jamais pour le mieux faire donner dans le panneau .

PANTALON, derrière le théâtre
Oh di caza.

AGATHINE
Qui heurte ?

PANTALON
Pantalon de Bizognozi.

AGATHINE lui ouvre et l’embrasse
Ah Signor Pantalone.

PANTALON
Bondi, bondi, cara Agatina ; je mourais d’impatienza di retournare in questo paéze per embrasser vous.

AGATHINE
Ah ! Signor, quanto mi a durato il tempo.

PANTALON, faisant des révérences
Ah ! obligatissimo. Ma parlaté Franceze per mi l’apprendre à mi je vous en prie.

NISON, faisant des révérences à l’italienne
La riverisco Signor Pantalone.

PANTALON
Servitor. Chi e questa.

AGATHINE
C’est une Italienne que j’ai prise à mon service à la place de cette Française que vous m’avez fait renvoyer.

PANTALON
Bene, bene ; et come si apelle questa ?

NISON
Violetta per servir la. Ah ! Signor Pantalone, la mia patrona a esté bien malinconica pendant il vostro viaggio.

PANTALONv
Lo credo.

NISON
La pouretta vous attendait à tout momento, et l’astro giorno entendant braire un azino, elle est descendue subito credendo ché fosté voi.

PANTALON
Ah ! la bella preuve d’amour ! Est-ce que j’ai la voix d’un azino, ma ne savez pas vous mieux parlare francezé.

NISON
Ah ! si Signor, ze le parle un petit brin mieux quand ze le veux.

PANTALON
Eh bien, parlate sempré francezé, quand je ne l’entendrez pas ze vous le diro.

NISON
Puisque vous lé voulez, Monsieur, ze parleré francéze le mieux que ze le pouéré.

PANTALON
Et brave, brave basta coussi, maintenant je vous diro que j’ai passé chez le notaro per nostro contratto di matrimonio, et questo notaro n’entend pas una sola parola italiana ; et il parla lé francezé tant presto, tant presto, qué mi ni entendo niente.

AGATHINE
Cela est assez embarrassant d’avoir affaire à un bredouilleur.

PANTALON
Ma vous lui dicterez en francezé mes intentioni que je vais scrivere en italiano dans le mio cabinetto adesso adesso.

AGATHINE
Allez, Monsieur, allez, je ferai tout ce qu’il vous plaira.

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