Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Neiges

Le texte « Neiges » a été écrit selon la structure « Jo-Ha-Kyu », présente dans les arts traditionnels japonais, notamment l’art du thé, les arts martiaux ou encore le théâtre Nô. Il s’agit d’une structuration en trois temps, correspondant à trois rythmes différents, que l’on peut traduire par lent, moyen et rapide.

On peut également interpréter le « Jo-Ha-Kyu » d’un point de vue spirituel ou philosophique.

Le Jo correspondant à la naissance de toute chose, le Ha à la floraison ou l’expansion et le Kyu à la disparition ou la transformation.

JO – DEBUT p. 9

Tout se forme, dure quelques instants, avant de se défaire.

Je marche dehors, au bord de la route.
C’est la fin de l’après-midi. L’hiver.
Il neige depuis le début de la semaine.
Je rentre chez moi.

Je fais ce chemin tous les jours, depuis des années.
C’est un moment particulier dans la journée.
J’ai quitté mon travail et je ne suis pas encore arrivé chez moi.
C’est une sorte d’entre deux. De flottement.

J’ai l’habitude de ce chemin.
Ma marche sait d’elle-même l’itinéraire, la direction.
Le rythme de mes pas s’est adapté à la neige. Je n’y fais pas attention.
Pas plus qu’au passage des voitures.

La neige tombe entre le jour et la nuit.
Elle tombe sur des milliers de vies comme la mienne.
Je pense à cela tout en marchant.
Tous ces gens qui, comme moi, rentrent chez eux et se retrouvent dans l’entre deux, sous la neige.

Un flottement.

J’ai perdu le fil de ma pensée.
L’espace d’un instant, j’ai été absent à moi-même.
Pendant une fraction de seconde.
Un vide m’a traversé.
Comme si j’avais été bousculé, de l’intérieur, par quelque chose.
Une absence.

Je suis arrêté au bord de la route.
Je regarde autour de moi.
Rien n’a été affecté par le vertige qui m’a saisi.
La neige continue de tomber. Les voitures passent près de moi.
Les autres passants ne se sont pas arrêtés.
Mais je ne bouge pas.

Extraits de presse

« On reconnaît, ici, toutes les qualités de l’auteur de Hana no michi ou Le sentier des fleurs (Tatouvu. Mag n° 34, juillet 2008) : style, précision, gravité immatérielle.
Pourtant, en nous immergeant dans l’espace introspectif d’un narrateur qui, s’arrêtant au bord d’une route un jour de neige, se sent happé par un ailleurs hors du temps, comme hors de sa propre vie, Yan Allegret prend des distances avec la richesse fantasmagorique de son précédent ouvrage.

Neiges semble, en effet, répondre à une appréhension beaucoup plus resserrée de l’écriture, à une économie de moyens presque radicale, comme si l’auteur s’était attaché à retirer de son texte toute forme de « gras », d’opulence ou de laisser-aller. Chaque phrase, chaque strophe paraît ainsi le résultat d’un travail d’assèchement, travail visant sans doute à ne laisser percer que les mots strictement essentiels à cet univers singulier. Tout cela est beau. »

[Manuel Piolat Soleymat, Tatouvu.mag, du 15 mai au 15 juillet 2010]


« (…) Neiges, pièce plus simple, plus limpide, plus fluide aussi et plus vibrante.

Il ne se passera rien de notable, tout juste l’amorce plus ou moins fantasmée d’une possible rencontre. Un théâtre qui oscille entre apparitions et disparitions. Dans l’entredeux, une probable transformation (la neige qui devient eau se souvient-elle avoir été neige ?), un jeu de décalages (corps et voix par exemple), une inversion du regard.

Où Tchekhov revient apporté par le vent

En chemin, Yan Allegret retrouve une réplique de la pièce d’Anton Tchekhov, « Les Trois sœurs » :

« Le sens… voilà il neige. Où est le sens ? »

Ces mots deviennent comme un leitmotiv de ce voyage d’un homme qui rentre chez lui, s’arrête, saisi par quelque chose qu’il nomme, faute de mieux, « vertige ». Un peu comme ces moments où on est là sans être là, où on nous parle et où on n’entend pas, où on dira avoir eu « une absence ». Un peu comme ces moments fugaces où on croit voir une ombre, une personne, et où on se dit : « J’ai rêvé. » Un univers très attachant. »

[Jean-Pierre Thibaudat, Rue89, 21 novembre 2012]
l’article complet


« Yan Allegret signe ici un très beau texte, long développement d’une pensée qui se meut dans le blanc, qui se découvre en même temps qu’elle naît, qui pointe et s’arrête sur des choses sues de tout temps et qui semblent être révélées, puis plonge dans le souvenir, dans l’abstraction, dans l’interrogation du sens.

(…) le spectacle est très beau. Accompagnant le texte, le sublimant, il y a ces images (on y revient, donc) qui se construisent doucement, feutrées : l’esthétique est ouvertement japonisante : le décor, le maître sabre, la danseuse-comédienne, les mouvements, la poésie, les lumières (magnifiques) tout est très à l’Est.

Cette rencontre entre le texte qui, même s’il est contemplatif, a quelque chose de très occidental dans sa construction, dans la façon dont la pensée chemine, où le « je » est très présent et affirmé, et cette esthétique qui rappelle Dolls de Takeshi Kitano, où tout est dans le geste, dans le frottement léger de l’air sur le vêtement, sur l’objet, du pied sur le sol, dans la conscience absolue que tout est dans un infime mouvement, tout cela est très juste. Et, pour lier encore plus ce qui se lie déjà bien, pour ajouter un nouveau point de communion, il y a la création sonore, la musique du spectacle, qui mêle la guitare à des accents presque trip-hop, et qui accomplit l’envolée.

C’est un beau moment que nous propose donc la cie (&) So Weiter, un beau spectacle, qui porte très bien son titre, un spectacle qui raconte ces fois presque mystiques où le paysage alentour est en parfaite adéquation avec le paysage intime, où tout fait sens sans que rien ne soit explicable. »

[Matthias Claeys, J’ai vu ça, 20 novembre 2012]


Interview de Yan Allegret sur France Culture, émission La Vignette, 20 novembre 2012.

Le texte à l’étranger

Création à Tokyo, atelier Shunpusa, dans une mise en scène de l’auteur, avec Yuta Kurosawa (maître de sabre) Yan Allegret (comédien) Yann Fery (musicien) Kumi Hyodo (comédienne / danseuse), du 23 au 29 janvier 2012.

Vie du texte

Première lecture publique par Yan Allegret accompagné musicalement par Yann Féry, Théâtre du Colombier à Bagnolet, le 18 décembre 2009.

Lecture aux Rencontres de Brangues en juin 2010 avec la SACD par Yan Allegret avec Yann Fery.

Diffusion sur France culture, dans les Perspectives contemporaines, de la lecture enregistrée aux rencontres de Brangues, mise en onde François Christophe, le 23 juillet 2010.

Lecture musicale à Mains d’œuvres (93) avec Yan Allegret (voix) et Yann Féry, les 19 et 20 mars 2012.
— Festival 30"30, Bordeaux (33), 17 et 18 janvier 2013

Création à Mains d’œuvres dans une mise en scène de l’auteur, avec Yuta Kurosawa (maître de sabre), Yan Allegret (comédien), Yann Fery (musicien), Kumi Hyodo (comédienne / danseuse), 15 novembre 2012.

Tournée de création 2012-2013-2014
— La Friche des Lacs de l’Essonne, Viry-Chatillon (91), du 29 novembre au samedi 1er décembre 2012
— Centre Pompidou-Metz, Metz (57), jeudi 6 décembre 2012
— Festival 30 30, Bordeaux, 17 et 18 Janvier 2013
— La Baignoire, Montpellier, 5 et 6 avril 2013
— la Ferme du Bonheur, Nanterre, du 4 au 8 décembre 2013
— Confluences, Paris, du 13 au 16 février 2014
— La Friche des lacs d’Essonne, 11 avril 2014
— Théâtre Antoine Vitez, Aix en Provence, 14 mai 2014
— Château de la Roche Guyon, 17 et 18 mai 2014

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