Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

L’Extraordinaire tranquillité des choses

[Extrait, première partie, p. 9 à 12]

I - UN RESTE DE FUMÉE

LES VOIX DE LA RUE
Si on pouvait voir l’horizon
Derrière les bâtiments
Il serait possible de dire
« Le soleil pointe déjà à l’horizon »
Ce matin, il fait beau
La lumière fait briller les façades
La ville s’éveille
La lumière fait briller le verre en mille morceaux
Mille morceaux de verre, un reste de fumée
Comme la fin d’un mauvais rêve
Le quartier s’agite
Un chien aboie on ne sait pas pourquoi
Raies dorées, traversées de fumée, premières pétarades des moteurs
Opel Vectra gris métallisé 3478 LH 93
Ce matin il fait beau
La ville s’éveille. Déjà
Le quartier s’agite
Etire ses artères engourdies par la nuit
Rue de la Rrépublique, la ville sort de son lit
Gueule de bois, yeux cernés des mauvais jours
Regards blafards et haleine chaude
Ce matin il fait beau
La ville se jette dans la bouche du métro
Une constellation de figures géométriques complexes
La ville a des oreilles qui sifflent
Ce matin il fait beau
Difficile de ne pas y penser
Faire comme tous les jours. Faire du sport
Marcher, acheter, vendre, louer, marchander, appeler
Exister, aimer malgré tout, manger, se laver, boire, fumer, construire, démolir, analyser
Prévoir, balayer, apprendre, avaler, digérer

Marlboro - Marlboro - Malboro - Malboro

Le geste est moins précis

Difficile de ne pas y penser

Ce matin il fait beau
La ville a mal aux muscles, a les poumons qui brûlent
Eteindre l’incendie avec un seau d’eau
Cracher par terre pour faire crever les dernières braises
Des voix, des accents, la rue
Les trottoirs se tâchent de couleurs
Sous le bitume qui s’écorce
Qui s’écaille
Les pavés rayonnent en cercles concentriques
Sous les pavés l’histoire, la légende, le passé, les ruines
Golf Volkswagen gris métallisé 2704 PM 93
Clio série Roland Garros gris métallisé 0406 MS 94
Vieille Mercedes Benz gris métallisé 1711 SL 93
Des voitures à l’arrêt, le moteur au ralenti, le feu au clignotant
Radio Rap Harmonie et Drum n’bass dans les haut-parleurs
Ça s’impatiente. Ca commence
Ça commence à triturer le volant, à faire patiner les embrayages
Ça roule des mécaniques, ça fait du bruit, ça commence
Ça klaxonne
Ça commence
Ça commence à décharger, à livrer, à mettre le courrier dans la boîte aux lettres
Ça commence à monter le rythme de la ville cardiaque
A courir, à parler fort
A courir plus vite que les autres
A parler plus fort que les autres
Pour se faire entendre
Ça commence la friteuse qu’on met en marche
Ça commence à sentir l’huile qui chauffe
Ça commence à sentir la viande
Ça grille quelque part
Ça commence l’estomac qui gargouille, le bon casse dalle qui se prépare
Ça commence l’envie du café de dix heures

Malboro - Malboro - Malboro

Des voix, des accents, la rue, ça pousse sur le trottoir, une poussette. Une femme avec une poussette
Une petite fille pleurniche dans la poussette
La femme lui tapote la tête machinalement, machinalement lui caresse un peu les cheveux, lui colle sans vraiment regarder la tétine, se trompe d’orifice, lui colle dans les narines, regarde la bouche bruyante de sa fille, fais un effort, essaye de la faire rire. Trop tard. C’est raté
Un vieil homme voûté de sacs chargé comme un âne sort indemne ou presque du métro
Un autre debout, casqué pour la moto, attend, des voitures passent

Un enfant court, on ne sait pas pourquoi

LA MERE
Il est tard. Tu rentres tard.
LE PERE
Je sais.
LA MERE
Tu as mangé ?
LE PERE
Non.
LA MERE
Tu aurais dû prévenir.
LE PERE
Désolé.

PANNEAU LUMINEUX

GARDEZ VOTRE CALME
CONSERVEZ LIBRES LES DEGAGEMENTS
DES L’AUDITION DU SIGNAL D’ALARME
FERMEZ LES PORTES ET FENETRES EN QUITTANT LES LIEUX
DIRIGEZ VOUS DANS LE CALME VERS LA SORTIE
NE REVENEZ PAS EN ARRIERE SANS Y AVOIR ETE INVITE
DANS LA FUMEE BAISSEZ-VOUS
L’AIR FRAIS EST PRES DU SOL
GARDEZ VOTRE CALME
CONSERVEZ LIBRES LES DEGAGEMENTS


[Extrait, deuxième partie, p. 18 à 20]

PIERRE
Les doigts, penser au doigts
Ne pas oublier que c’est
Par les doigts
Que tout commence
Ne pas oublier que ça assaille toujours
Par ce qui se voit le moins
Par le bout de ce qui fait peu de cas
Par ce qui se néglige et
Se salit le mieux
Ne pas oublier de le dire

Bien se remémorer
Le travail de sape dans les phalanges
L’engourdissement progressif
Comme lors d’une méchante pose
Une mauvaise position

Ne pas oublier
Que lorsque le revers de l’ongle est devenu noir
Lorsque que la peau glacée semble cassante
C’est du début d’une fin
Qu’il s’agit, et
Qu’il est déjà trop tard pour espérer
Ne serait-ce qu’un jour redevenir
Comme avant

Le corps est irrémédiable

LES VOIX DE LA RUE
Ne pas oublier
Le calme avant la tempête
La ville a les jambes lourdes
Le cul posé sur le rebord
En équilibre précaire
Sur le rebord de la fenêtre de la banque
Le cul sur un carton qui protège de l’hiver
Qui protège des pics
Qui fait qu’on ne décore pas la banque de son sang
Tantôt sur une fesse. Tantôt sur l’autre
Pour éviter les escarres
Un homme de pierre. Un bloc
Un bloc de pierre de cinquante ans
Peut être plus

Extraits de presse

Lire sur remue.net


"Le choix de trois comédiens valorise l’aspect choral de l’écriture et les mots glissent de l’un à l’autre dans une belle orchestration"

[Marie-José Sirach, L’Humanité, 26 septembre 2006]


"Puis l’explosion des banlieues est survenue tout à coup, et cette fureur-là est entrée dans les textes. Les écrivains s’en sont servi comme d’un matériau. Ils ont composé des dialogues, des poèmes, des cris."

[Gilles Costaz, Politis, 5-11 octobre 2006]

Le texte à l’étranger

Traduction en allemand par Ulrike Bokelmann sous le titre "Die außerordentliche Ruhe der Dinge", et publication dans la revue Scène 9, éditions Theater der Zeit, Berlin, octobre 2006.

Dans le cadre du festival de théâtre "Les Primeurs", organisé par l’Institut d’Etudes Françaises, en collaboration avec le théâtre "Staatstheater" de Sarrebruck, la radio sarroise SR -2 Kulturradio, lecture-mise en espace à la Scène nationale Le Carreau de Forbach, le 29 septembre 2007.

Lecture scénique, lors de la 5è édition de la "semaine française", qui présente de nouveaux auteurs français en Allemagne, au Thalia Theater de Halle (Allemagne), le 28 mai 2008.

Vie du texte

Création au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Centre Dramatique National , du 28 septembre 2006 au 8 octobre 2006, dans une mise en scène de Michel Simonot, avec Estelle Bordaçarre, Justine Simonot, Olivier Dupuy.

Reprise de la pièce dans une mise en scène de Michel Simonot, au Théâtre d’O de Montpellier, du 1er avril au jeudi 4 avril 2008
avec Estelle Bordaçarre, Sylvain Levey et Justine Simonot.

Création par la Compagnie des 4 Coins, dans une mise en scène de Nadège Coste, à Sarrebruck le 28 avril et au Théâtre du Saulcy, Université de Loraine, Metz, le 3 mai 2012.


Voir les autres livres de Philippe Malone, disponibles aux Editions Espaces 34.

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